Avant les Gilets Jaunes. Quand la rage populaire faisait l’Histoire
Avec le temps, les souvenirs des grandes heures révolutionnaires ou insurrectionnelles de l’Histoire de France tendent à s’embellir. On retient surtout ce qui fait sens dans le roman national. Exit ce qui fâcherait trop, exit les violences gratuites, exit les cruautés, exit le peuple quand il se fait canaille, exit l’abomination des guerres civiles… Bref, exit le tragique, les balafres, les coups bas ou les balles perdues de l’Histoire. Du coup quand surgit en cet hiver 2018 le raz de marée des Gilets Jaunes avec sa sociabilité inouïe, son absence et même son refus de représentant institué, ses composantes innombrables, ses débordements anomiques et ses violences, on a tendance à voir de l’inédit quand les exemples anciens foisonnent.
Celui de la Révolution française bien sûr avec notamment la journée du 10 aout 1792 lors de la très sanglante prise des Tuileries. Lors de notre numéro (Historia 862) sur le film « Un peuple et son roi », le réalisateur Pierre Schoeller évoquait 1789 et ce retour du peuple comme acteur majeur, son amour puis son divorce avec le roi. Et l’historien de la Révolution Olivier Coquart raconte « La spirale de la violence » entre 1792 et 1793. Un tsunami de terreur qui ne cesse de grossir, que personne de « convenable » ne maitrise, qu’aucun club n’inspire, qui vient du fond des sections et des faubourgs, qui voir rouge, qui veut tout et qui réussit à éliminer définitivement la Monarchie fut-elle constitutionnelle. Et à l’imposer à des parlementaires tétanisés. « La prise de la Bastille, écrit Coquard, fait une centaine de victimes ; celle des Tuileries, le 10 août 1792, plus d'un millier ; les massacres de septembre 1792, sans doute plus de 1500. Comme dans le cas des luttes sociales, l'initiative échappe, dans ces trois exemples, à tout organisme institutionnel national. Ni les assemblées ni les grands clubs n'interviennent : l'initiative est prise localement, à l'occasion de rassemblements improvisés, dans des assemblées de district puis de section, dans des clubs informels (celui de l'évêché pour le 10 Août). Dans la ferveur de sa victoire, le peuple recourt à des formes de violence extrême, chargées d'une symbolique forte : il faut détruire, disloquer le corps du vaincu pour que la victoire soit totale et aussi pour s'approprier une part de sa puissance, selon des processus que des anthropologues ont analysés dans les sociétés traditionnelles. »
Guillaume Malaurie
Lire ci-dessous en accès libre l'entretien avec Pierre Schoeller, scénariste et réalisateur d’"Un peuple et son roi", César du meilleur scénario en 2012 pour L’Exercice de l’État et "1791-1793 : la spirale de la violence" par Olivier Coquard
Plus d'articles sur le sujet à lire dans "Historia" n°762 - 1789-1793. Histoire d’une révolution