
Moulin, icône “post mortem”?

La mort du chef de la Résistance ne fut pas pleurée par tous ses pairs. Loin de là. Même après-guerre, l'action et la personnalité de Moulin ont divisé ses anciens compagnons d'armes et les historiens. Revue de détail.
De nombreuses années se sont écoulées avant que son nom désigne avenues, places et écoles en France.
Resté longtemps un enjeu de mémoire, à la fois entre résistants de l’intérieur et de l’extérieur, et entre une partie de la gauche et les gaullistes, Jean Moulin a subi tous les outrages post mortem jusqu’à ce qu’il devienne, au début des années 2000, le héros de deux œuvres de fiction.
La haine entre Henri Frenay, le patron de Combat, et lui s’accroît après l’arrestation de Caluire, en 1943, car le traître, René Hardy, est un proche du premier et de son adjoint, Pierre de Bénouville.
Le double acquittement d’Hardy, en 1947 et en 1950, exacerbe les vieilles animosités.
Georges Bidault, le successeur de Moulin à la présidence du CNR, devenu président du Gouvernement provisoire, tente de rééquilibrer le positionnement politique de Moulin, à Béziers, le 6 octobre 1946, lors de la première journée nationale qui lui est consacrée… En faisant entrer au Panthéon en 1964, le “chef du peuple de la nuit”, le général de Gaulle l’installe à ses côtés dans l’histoire de la France libre.
Les plaies de Caluire
Les attaques reprennent en 1973 et 1977, avec La nuit finira et L’Énigme Jean Moulin, deux charges signées de son ennemi Henri Frenay.
Parallèlement, les plaies de Caluire sont rouvertes par une interview de Klaus Barbie, son bourreau, parue dans France-Soir en 1972, puis avec l’arrestation et le procès de ce dernier, en 1987 – avec l’avocat Jacques Vergès en embuscade, distillant de l’acide sur lesdites plaies, jusqu’à la révélation, en septembre 1991, du “testament de Barbie”.
Thierry Wolton franchit une nouvelle étape, en 1993, dans l’entreprise de démolition de “Max” en faisant de lui, dans Le Grand Recrutement, un agent soviétique.
De son côté, le journal Libération rouvre un pan du procès de Caluire en organisant, le 17 mai 1997, un face-à-face dramatique entre les Aubrac, d’un côté, les historiens et Daniel Cordier de l’autre…
Moulinophile, sans disposer pour autant d’arguments pour justifier cette adhésion, j’inscris mes pas dans les siens et publie, en 1998, Vies et morts de Jean Moulin…
Pierre Péan
Illustration: Michel Bouvet