
Les ombres de Caluire

Le coup de filet opéré par la Gestapo le 21 juin 1943 est l'aboutissement d'une longue traque – et le point d'orgue des dissensions mortifères de la Résistance.
Le drame de Caluire hante la mémoire nationale depuis soixante-quinze ans.
Que s’est-il exactement passé le 21 juin 1943, sur les hauteurs de Lyon, dans la maison du docteur Dugoujon? La réunion secrète à laquelle devait participer une partie de l’état-major de la Résistance, dont Jean Moulin, Raymond Aubrac, Henri Aubry et le colonel Schwartfeld, était préparée de longue date. Toutes les précautions avaient été prises pour ne pas éveiller les soupçons. Pourtant, la Gestapo savait…
Heure par heure, nous vous proposons de revivre cette journée.
La Gestapo avait eu vent de cette réunion. Par qui? Qui a trahi?
Les soupçons se sont rapidement portés sur la personne de René Hardy, qui ne figurait pas sur la liste des invités et se rendit quand même sur place… Pis: Hardy, arrêté quelques jours plus tôt, avait été entendu par Klaus Barbie. Il est également le seul à avoir réussi à s’échapper du piège de Caluire (il n’était pas menotté).
SI Hardy, jugé après-guerre – et acquitté deux fois –, présente le profil le plus convaincant pour incarner le traître, il ne fut pas le premier agent retourné par la Gestapo, qui avait noyauté la Résistance depuis des mois et avait notamment fait tomber, quelques semaines plus tôt, comme en prélude à Caluire, le chef nouvellement désigné de l’Armée secrète, le général Delestraint.
Nous verrons dans ce dossier comment procédaient les Allemands pour infiltrer les réseaux de résistants et au moyen de quel engrenage ils sont parvenus à remonter les filières pour aboutir à leur chef, surnommé “Max” ou “Rex”, c’est-à-dire Jean Moulin.
Jean Moulin se savait traqué et en sursis. Il avait néanmoins à cœur de mener à son terme la mission que lui avait assignée de Gaulle à Londres: unifier la Résistance, dont les différents mouvements et courants politiques tiraient à hue et à dia, et dont certains refusaient d’abandonner leur ascendant pour reconnaître le Général comme le chef incontesté de la Résistance.
Son action s’est inscrite dans le contexte d’une France certes divisée entre pétainistes et résistants, mais où une immense majorité de Français, soucieux de simplement vivre – ou de survivre – dans un pays soumis à la surveillance de l’ennemi et souffrant dans sa chair des restrictions alimentaires, n’affichaient pas ouvertement leurs préférences politiques.
Cette optique a fait l’objet d’un article de Michèle et Jean-Paul Cointet, spécialistes de Vichy, que nous remettons en ligne à l’occasion de cet anniversaire.
Enfin, nous ne saurions évoquer la personne de Jean Moulin sans en référer à celui qui a passé des années en sa compagnie pour écrire sa biographie, le journaliste Pierre Péan, auteur de Vies et morts de Jean Moulin (1998), de La Diabolique de Caluire (1999) et de Jean Moulin. L’ultime mystère (2015), cosigné par Laurent Ducastel.
Pierre Péan nous livre sa vision personnelle du personnage et retrace à grands traits les différentes phases de sa notoriété, de sa panthéonisation, en 1964, aux premiers soupçons sur son action et sa prétendue trahison, dans les années 1970.
Xavier Donzelli