Badoit : En toute légèreté...

Connue des Romains qui aimaient s'y baigner, un temps oubliée, la source de cette eau minérale gazeuse du Forez rejaillit au XIXe siècle grâce à un courtier en soierie de Lyon qui, le premier, a l'idée de la vendre en bouteille. Et de lui donner son nom.

Vous faites partie des déçus du « château La Pompe », fatigués des goûts de chlore, de la teneur en plomb et autres éléments polluants, décidés à vous tourner vers les eaux minérales gazeuses dont les bienfaits pour la santé ont été reconnus par l'Académie de médecine ? Vous êtes peut-être un futur buveur de Badoit.

Leader de la « cure à domicile » avec 300 millions de « cols » vendus chaque année 16 % de parts du marché français, première marque de la restauration, l'eau de Badoit fêtera ses 170 ans l'an prochain. Plus qu'un label, Badoit fait partie du patrimoine commun. Qui n'a jamais entonné sur la célébrissime mélodie Y'a d'la joie de Trenet : « C'est Badoit, l'eau pétillante, l'eau légère, c'est Badoit les petites bulles on aime ça [...] » ? Une aubaine pour le village de Saint-Galmier dans le Forez à 53 km de Lyon, berceau de la source, qui récolte chaque année 1,5 million d'euros, fruit de l'impôt versé à la municipalité par les exploitants de l'illustre breuvage.

Le frémissement du pétillement de la Fontfort - la source originelle - est en effet connu depuis l'Antiquité. Les vestiges de thermes romains mis au jour sur les bords de la Coise en 1844 en attestent. Mais au Moyen Age, les Foréziens ne manifestent plus aucun intérêt à l'égard du thermalisme. Jean Merley, auteur d'une Histoire des eaux minérales de Saint-Galmier évoque d'ailleurs les bassins abandonnés qui servent alors principalement aux tanneurs. Les Baldomériens nom donné aux habitants de Saint-Galmier, en hommage à leur saint protecteur Baldomerus consomment avant tout l'eau de la Fontfort pour ses vertus désaltérantes. François Ier, séjournant dans la région, en aurait lui-même vanté les mérites.

C'est à partir des XVIIe et XVIIIe siècles que les médecins, sur ordre de la couronne, commencent à analyser les eaux de Saint-Galmier. L'un d'eux, Richard Marin de Laprade, membre de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon publie en 1778 un recueil intitulé Analyse et vertus des eaux minérales du Forez et de quelques autres sources . Ses commentaires sur les propriétés de la future eau de Badoit augurent un bel avenir : « Les principes des eaux de Saint-Galmier les rendent délayantes, apéritives, absorbantes et stomachiques [...]. On a souvent éprouvé leurs bons effets [...] dans les maladies glaireuses et graveleuses des reins et de la vessie, dans les ardeurs d'urines, [...] dans les dérangements des secours périodiques des femmes, [...] dans les dérangements des digestions [...]. » Aussi conseille-t-il à ses patients de « prendre les eaux » quinze jours à un mois par an.

Malgré l'émergence de l'hydrologie médicale au XIXe siècle, les curistes ne seront jamais assez nombreux à Saint-Galmier pour faire du thermalisme une activité rentable. On comptera tout au plus 1 000 buveurs curistes en 1834 et 340 baigneurs la même année. Insuffisant.

L'idée géniale d'Auguste Badoit : vendre de l'eau en bouteille !

Trois ans plus tard, c'est d'un courtier en soierie du nom d'Auguste Saturnin Badoit que va venir le salut des eaux baldomériennes. Yves Peycelon - petit-fils de James Peycelon, directeur général de Badoit à la fin du XIXe siècle - lui-même directeur des ventes de 1972 à 1983 raconte : « Auguste Badoit a connu la révolution des Canuts à Lyon et a vécu l'avènement du métier Jacquard. Il ne croyait plus beaucoup au marché de la soie et s'est tourné vers l'eau minérale. Son idée la plus géniale : vendre de l'eau en bouteille à une époque où elle était encore livrée en bombonne. » Après avoir pris à son compte le fermage de la Fontfort - il fera creuser un nouveau puits en 1845, lequel prendra le nom de Badoit -, le commercial au grand flair fait concevoir des bouteilles en verre de 90 cl aux épaules très étroites pour éviter que le gaz ne se dissipe. Puis il demande à son ami Irénée Laurent de faire construire une verrerie à proximité de l'usine.

Enfin, il se lance dans une campagne de communication sans précédent. Les articles et annonces dans la presse se multiplient ; les médecins reçoivent gratuitement des caisses d'eau pour la faire découvrir à leurs patients. Fait significatif, en 1842, les pharmaciens représentent 54,25 % des dépositaires - de l'arrivée de l'eau courante dans les immeubles, au début du XXe siècle, à l'ère de la grande distribution qui s'ouvre dans les années 1950, ils en seront d'ailleurs les revendeurs exclusifs -, devançant les épiciers, confiseurs et autres buralistes. A la fin du XIXe siècle, l'eau de Badoit est la première a être distribuée dans les wagons-lits. Sésame inestimable Augustin Badoit a décroché en 1839 la caution scientifique de l'Académie de médecine qui qualifie la Fontfort comme « une des eaux acidulées françaises les plus estimées ».

Pas de vertus curatives pour la Badoit mais digestives 

Qu'on ne s'y trompe pas, l'eau de Badoit n'a pas de vertus curatives, telles qu'ont pu le laisser entendre les médecins du XVIIIe siècle. Il s'agit davantage de propriétés d'entretien précise Yves Peycelon : « Les qualités de Badoit sont triples : on y trouve des traces de bicarbonate 1 300 mg/l qui aide à la digestion ; du fluor, à hauteur de 1 mg/l, dose quotidienne conseillée par l'OMS, pour se protéger des caries ; enfin, du magnésium 85 mg/l qui contribue à un bon équilibre. Une eau de confort qui ne prétend pas soigner les malades, pour preuve le slogan publicitaire télévisé élaboré dans les années 1970 : "L'eau de Badoit facilite la digestion des gens bien portants". » En 1842, la société d'Augustin Badoit compte 95 dépôts, principalement à l'est de la France. Le marché parisien est l'un des plus prolifiques. Entre 1840 et 1880, afin de faire connaître son eau au plus grand nombre, Badoit vend ses bouteilles à des porteurs d'eau chargés d'alimenter les cuves des immeubles. Pour deux Badoit livrées, au lieu des 20 à 30 litres habituels, le porteur d'eau double son revenu. De quoi transformer les immeubles parisiens en châteaux d'eau !

A la mort d'Augustin Badoit 21 février 1858 et dans les années qui suivent, la Société des eaux minérales de Saint-Galmier ainsi nommée après 1859 demeure prospère malgré une vive concurrence qu'elle parvient à absorber grâce à une politique de concentration rondement menée. En 1894, de société civile, l'entreprise devient société anonyme. Suprême consécration, trois ans plus tard, l'Académie de médecine reconnaît la source Badoit d'intérêt public.

Puis vient la récession. Deux guerres mondiales, durant lesquelles l'activité ralentit : transports, hausse du prix des bouteilles neuves, déficit de main-d'oeuvre du fait de la mobilisation, réquisition de bâtiments. C'est seulement en 1954 que les chiffres de vente atteindront ceux de 1913 17,2 millions de bouteilles.

Les années 1960 marquent l'avènement des grands groupes agroalimentaires. Badoit fusionne avec Evian en 1965, propriété du groupe Boussois-Souchon-Neuvesel futur Danone. La campagne publicitaire télévisée lancée dans les années 1970 fait exploser les ventes. On passe de 37 millions de bouteilles vendues en 1972 à 240 millions en 1988. La célèbre chanson du « gigot-haricot-très-très-gros » des Frères Jacques conditionne toute la génération publivore « post-68 », laquelle ne manque pourtant pas d'effervescence.

Aujourd'hui, après l'arrivée des « soft drinks » et de Badoit rouge, la marque entend s'ouvrir aux générations des années 2000. Selon une étude Danone de 2003, « les goûts des consommateurs évoluent vers plus de pétillance, plus de bulles, plus de sensations », histoire de s'étourdir. Est-ce à dire que les médecins du XIXe siècle avaient vu juste, eux qui comparaient les effets « exhilarants » de la Badoit à ceux du champagne, « le dieu des jeux et des amours ». Qu'importe l'absence d'ivresse, pourvu qu'on ait le flacon !

Éric Pincas

Badoit

1837

Augustin Badoit obtient le fermage de la source Fontfort.

1845

Il rachète une source inexploitée.

1888

Médaille d'or à l'Exposition universelle de Rome.

1897

L'Académie de médecine reconnaît la source Badoit d'intérêt public.

1913

Le bouchage couronne remplace le bouchage en liège.

2004

Lancement de Badoit rouge.

Publicité pétillante

Le slogan de la campagne publicitaire "Et badadi et badadoit..." de 1960 ci-dessus. Entre 1958 et 2005, les ventes passent de 37 à 300 millions de bouteilles.

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