
Vente de la prestigieuse collection Juan de Beistegui
Elle sera exposée à partir du 6 septembre à Paris, chez Christie’s, avant d’être mise aux enchères le 10 septembre. Parmi les lots présentés, figure un rare et énigmatique ensemble mexicain du XIXe siècle, relié de maroquin rouge, constitué de manuscrits et de dessins. Il rend compte d’expéditions commanditées par le roi d’Espagne Charles IV dans la vallée de Mexico, ayant permis la découverte de sites mayas.
La vacation comprend environ 150 lots, estimés entre 5 et 8 millions d’euros, dont une sélection d’oeuvres d’art du XVIIIe siècle français (un bureau de pente d’époque Louis XVI estampillé de Martin Carlin, une paire de chaises royales en bois doré d’époque Louis XVI, estampillées par Georges Jacob et une paire de fauteuils d’époque Louis XVI par David Roentgen, l’ébéniste qui réalisait des meubles à la fois pour Marie-Antoinette et l’impératrice de Russe), ainsi qu’une sélection d’ouvrages rares.
Parmi eux, des copies de manuscrits et de dessins originaux (plus de 120) pour la Real Expedición Anticuaria illustrant la découverte des sites mayas que nous présente Alice Chevrier, catalogueuse au département des livres et manuscrits chez Christie’s Paris.
Historia – Quelle est l’histoire de cet ouvrage ?
Alice Chevrier – Cet ensemble de huit cahiers manuscrits rend compte des trois expéditions au Mexique qui ont menées par Dupaix, un ancien capitaine de Dragons luxembourgeois, sur ordre du roi d’Espagne Charles IV, de 1805 à 1808. Ce militaire qui a déjà réalisé en 1794 un inventaire des monuments et objets antiques de Mexico, insiste pour être accompagné du dessinateur José Castañeda, un ancien pensionnaire de l’Académie Royale de San Carlos, qui va effectuer des relevés, puis des dessins au propre. Après chacune de ces expéditions, un compte rendu devait être remis, comme c’était l’usage, en trois exemplaires aux autorités. On sait que cela a été le cas pour les trois premiers. En revanche, les doubles et triples exemplaires des expéditions suivantes ne l’ont pas été en raison de la mort de Dupaix en 1818. Il avait pourtant pris la précaution de demander à son exécuteur testamentaire Fausto de Elhuyar, de faire réaliser les autres exemplaires.
H – D’où provient alors l’exemplaire mis en vente ?
A.-C. - L’une des hypothèses émises serait que cet exemplaire, qui ne concerne que les deux dernières expéditions, serait l’un des doubles ou triples exemplaires non remis. Mais plusieurs indices, en particulier des ratures et l’absence de dédicace, m’incitent à penser que cet exemplaire serait plutôt une sorte de brouillon, de mise au propre inachevée, d’après les manuscrits originaux. La date de 1821 indiquée sur l’ouvrage correspond à l’année de l’indépendance du Mexique. On sait que pendant cette période trouble, Castaneda a organisé une vente aux enchères illégale dont l’objet était des manuscrits et dessins qui appartenaient au nouvel État mexicain. Il faut préciser que les expéditions pour lesquelles il a travaillé bénévolement, se sont déroulées dans des conditions extrêmement pénibles et il a sans doute considéré que c’était là une juste rétribution de ses services ! Notre ensemble pourrait provenir de cette vente, mais il n’y a aucune certitude. Cela expliquerait qu’il soit resté aussi longtemps dans des collections privées. À notre connaissance, il en existe six autres, appartenant tous à des collections publiques.
H – Quels sites ont été découverts lors de ces expéditions ?
A.-C. – La première expédition se déroule de janvier à mai 1805. Les deux hommes, seulement accompagnés d’un détachement de la cavalerie mexicaine, parviennent à Tepeyaca, San Cristobal, Amatlan de los Reyes, Santiago Guatusco et Huaquechula où ils découvrent des sculptures et des pyramides antiques. Dupaix les décrit et Castañeda les dessine. En février 1806, ils repartent de Mexico pour Antequera et Oaxaca. Ils s’arrêtent d’abord à Xochimilco où ils sont frappés par la beauté des sculptures à formes humaines et animales qu’ils découvrent. À Misquique et Tlamanalco, ils observent des sculptures. Dupaix se montre respectueux de ces cultures, curieux et ouvert. Il compare ce qu’il voit à ce qu’il connaît, essaye de trouver des correspondances avec les civilisations égyptiennes, grecques et romaines antiques.
À Ozumba et Xonacatepec, ils étudient plusieurs pierres circulaires sculptées de taille importante, puis explorent les constructions souterraines du plateau de Monte Alvan, avec l’aide des habitants de la région que Dupaix appellent « los Indios » (les Indiens). Comme la première, cette expédition est une lutte incessante contre des nuées d’insectes, des scorpions et des serpents. Ils parviennent finalement à Mitla où ils entrent dans quatre palais funéraires aztèques qu’ils sont les premiers à documenter. Tlaxcala est leur dernière étape avant leur retour dans la capitale mexicaine en mars 1807. Au début de la troisième et dernière expédition, en décembre 1807, Dupaix est attaqué par des Indiens qui le pensent Français, puis rapidement libéré. Avec Castañeda et les dragons mexicains, ils découvrent vers Oaxaca des armes antiques, puis atteignent le site maya de Palenque, le but de ce voyage. Les constructions pyramidales qu’ils découvrent ont déjà été signalées quelques années auparavant par Antonio del Rio. Dupaix est très frappé par cet ensemble monumental, les « geroglífico » (« hiéroglyphes ») et sculptures qui l’accompagnent. Au retour, il est à nouveau fait prisonnier par les habitants d’un village où il s’arrête, mais est de nouveau reconnu et libéré par le gouverneur. L’expédition parvient enfin à rejoindre Mexico au cours de l’année 1808. Dupaix ne remet les documents originaux au vice-roi Apodaca qu’en 1817 et meurt l’année suivante.
Propos recueillis par Véronique Dumas
Pour en savoir plus sur la famille de Bestegui :
Les Beistegui sont liés depuis le XIXe siècle au monde des arts. Le premier collectionneur et généreux mécène de cette lignée d’origine basque, émigrée au Mexique où elle fait fortune dans les mines d’argent, puis revenue en Europe après la chute de l’empereur Maximilien en 1867, est Carlos de Beistegui (1863-1953). En 1942, il fait don de sa remarquable collection de peintures au Louvre (elle est toujours exposée dans la salle qui porte son nom). Son neveu, Charles (1895-1970), esthète féru d’architecture et d’arts décoratifs, invente, quant à lui, un style nouveau, le « goût Besteigui » mélange de modernité et de baroque théâtral, qu’il met en oeuvre dans son château de Groussy et au Palais Labia à Venise, aujourd’hui siège de la télévision RAI, où il organise en 1951 un bal du Siècle, entré dans la légende des fastueuses mondanités de l’après-guerre.
Neveu du précédent, Juan de Besteigui (1930-2017) dont la collection va être mise en vente, était l’un des plus fins connaisseurs du monde du style classique français et un bibliophile averti.
Vente aux enchères chez Christie’s à Paris lundi 10 septembre 2018 à 16h et 18h.