
“Jean Moulin. Évangile” : chant de bataille

Le Théâtre Dejazet propose, à partir du 18 octobre, une pièce sur le héros de la Résistance. Une “fiction historique” de Jean-Marie Besset à forte dimension politique.
Crédit : Lucas Dubosc.
La pièce débute dès avant la représentation, par la lecture studieuse du livret, qui présente les 14 personnages (pour dix comédiens) et déroule le synopsis complet, scène par scène, de cet « évangile ».
Juin 1940-juillet 1943, le décor est planté : la défaite, l'exode, l'exil, Vichy, les premiers opposants, le noyau londonien de la France libre, l'unification de la Résistance, l'ombre de la Gestapo…
Pas de trois coups, ni de rideau.
Un décor brut s’offre au regard du spectateur. Des armoires normandes, vides pour certaines, se dressent comme des obstacles sur le plateau.
Scène mise à nu, dépouillée. La guerre éclair a tout balayé, tout emporté.
Sur le devant de la scène, une pierre, un petit amas de terre (la terre de France, la terre retournée par les bombardements).
Les projecteurs s’allument. Une femme en uniforme s’adresse, dans un barouf d’enfer, au général de Gaulle :
« Mon général, j’ai une mauvaise nouvelle…
— Au point où nous en sommes…
— Jean Moulin est mort, mon général… »
Jean Moulin (Arnaud Denis) et un nazi (Laurent Charpentier). Crédit : Lucas Dubosc.
Certains épisodes historiques, à force d’être relatés, ressassés, enseignés, finissent par former une fable mythologique immuable, avec sa morale, ses héros et ses salauds.
L’histoire de Jean Moulin appartient au patrimoine historique, idéologique et patriotique de la France. Elle n’admet bien souvent qu’une seule vérité : le courage du héros, la perfidie du traître, l’acharnement du bourreau.
Il existe pourtant assez de zones d’ombre dans cette affaire pour bâtir une « fiction historique », comme l’entend l’auteur de la pièce.
En intitulant sa pièce Jean Moulin. Évangile, Jean-Marie Besset ne fait pas mystère de la dimension « christique » qu’il prête à son héros. Moulin, Jésus : deux messagers morts suppliciés, sans avoir trahi ni s’être renié.
En suivant cette voie allégorique, l’« évangile » de Jean-Marie Besset n’échappe pas à quelques lourdeurs de trait. Ce sont ses plus grosses ficelles.
Un autre aspect, en revanche, retient l’attention : la dimension politique de l’action de Jean Moulin.
Tout l’intérêt de la pièce consiste à mettre en avant les ressorts de son combat – éminemment politique – dans la lutte que se livrèrent, contre l’ennemi, mais aussi par l’ennemi, les divers courants de la Résistance.
En quatre actes et 22 scènes (structure digne d’une tragédie), Jean Moulin. Évangile montre comment Moulin est parti au feu, sur le théâtre d’opérations de l’ombre, pour unifier les forces de la Résistance derrière de Gaulle. S’exposant, de ce fait, aux représailles de l’ennemi, et à la rancœur des combattants de l’intérieur.
La pièce est ainsi ponctuée de passes d’armes entre Moulin et de Gaulle (sur la République née de la Révolution, sur la France éternelle, de Charlemagne à Louis XIV), entre de Gaulle et Henri Frenay, le chef du réseau Combat (sur la lutte armée, la stratégie, le commandement), entre Frenay et Moulin (sur le moteur de l’action, l’idéal politique ou la foi), entre Klaus Barbie et Lydie Bastien (sur la civilisation à marche forcée « par le fer et le sang »)…
Michael Evans (Klaus Barbie), entouré de Gonzague Van Bervesselès (nazi blond) et Laurent Charpentier (nazi brun). Crédit : Lucas Dubosc.
Le même mobilier décore toutes les scènes. Ces armoires normandes qui roulent, pivotent, cachent un double fond, servent de planque ou de porte de sortie.
La mise en scène de Régis de Martrin-Donos se déploie à l’intérieur de ce cadre mouvant, dans des tableaux cloisonnés, confinés, oppressants, éclairés par des ampoules nues ou projetant d’inquiétantes zones d’ombre.
Parabole de la clandestinité. Mais aussi lueur d’embellie, par l’évocation de cette Normandie où s’accomplira le Débarquement.
Jean Moulin s’est-il sacrifié pour que s’accomplisse l’unification de la Résistance sous la bannière de De Gaulle ? C’est tout le sens de cet évangile, qui est surtout une hagiographie du grand homme de la Résistance.
Xavier Donzelli
Jean Moulin, par Michel Bouvet.
Informations pratiques
Jean Moulin. Évangile, fiction historique de Jean-Marie Besset. Mise en scène : Régis de Martrin-Donos.
Jusqu’au 17 novembre 2018 au Théâtre Dejazet.
41, boulevard du Temple, Paris (3e).
M° République.
Réservation au 01.48.87.52.55.
Représentations : du lundi au samedi à 20h30 matinées samedi 20, 27 octobre et 3 novembre à 16 heures.
Le visuel de présentation de la pièce a été reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur, Michel Bouvet.