Retour sur le Grand Tour
Aux antipodes du tourisme de masse, une manière bien particulière de découvrir l’Europe.
Doucement mais sûrement, les voyages reprennent. On ne sillonne pas encore le monde à vitesse accélérée mais plusieurs destinations en souffrance reprennent des couleurs. Alors que l’été va bientôt battre son plein, les gens s’interrogent davantage sur leur mode de tourisme : comment s’assurer une parfaite protection sanitaire ? Comment optimiser sa bourse ? Quel profil cibler (culture, farniente, aventure…) ? Faut-il privilégier un moyen de transport qui participe à la lutte contre le réchauffement climatique ? Toutes ces questions, se les posait-on au moment du Grand Tour, ce passé si intéressant à ressusciter au moment où l’appétit de la découverte s’aiguise à nouveau.
Le Grand Tour comporte plusieurs phases. Il apparaît au XVIe siècle, monte en puissance au XVIIe, atteint son apogée au XVIIIe et décline au XIXe. Mais que se cache-t-il exactement derrière cette appellation, qui n’a évidemment rien à voir avec le Tour de France cycliste ou le tour de France des compagnons. Le Grand Tour s’adresse aux jeunes gens de la très bonne société européenne. Ce voyage, qui se déroule sur le Vieux Continent, peut durer jusqu’à plusieurs années. Il vise à compléter le cursus académique d’aristocrates formés au latin et au grec (les humanités traditionnelles) en leur permettant de découvrir des berceaux de culture, de visiter des joyaux artistiques et de rencontrer des aînés inspirés.
En théorie, le Grand Tour cible un large éventail de pays. Dans la pratique, il s’articule surtout autour de l’Italie, l’Allemagne et la France, avec des pointes jusqu’aux Pays-Bas, en Suisse et plus à l’est. Il n’y a pas de circuit type mais des étapes plus stimulantes que d’autres. A compter du XVIIIe, la Grèce sert de porte d’accès aux contrées moyen-orientales, qui restent cependant des exceptions dans le cadre du Grand Tour. Les jeunes aristocrates ne sont pas non plus des aventuriers !
La peregrinatio academica, ancêtre du Grand Tour
Comme rien n’est jamais totalement nouveau, le Moyen Âge abrite déjà des ferments de ce voyage au long cours ; les spécialistes de la période rappellent l’existence de la peregrinatio academica : le principe consiste à permettre aux étudiants issus de la noblesse de pouvoir effectuer des séjours successifs dans les grandes universités européennes (Bologne, Paris, Oxford, Pavie…). Ce mode d’apprentissage n’ira pas plus loin que le XVIe siècle : d’un côté, les indépendances nationales qui se forgent n’incitent pas au partage des savoirs, sans compter les guerres de religion de plus en plus intenses ; de l’autre, le latin cesse d’être la langue de référence dans les milieux académiques.
Précision : on ne voyage pas seul quand on fait son Grand Tour. Non pas que les impétrants soient dûment chaperonnés mais chacun dispose d’un accompagnateur, un tuteur en quelque sorte qui peut s’acquitter des obligations pratiques et financières. Le périple correspond-t-il aussi à des inclinations sentimentales, voire à une initiation charnelle ? La vérité oblige à dire que les visiteurs ne passent pas seulement leur temps dans les musées ou l’esprit plongé dans les livres. Dans un genre différent, les voyageurs ramènent souvent des objets de collection, comme des pièces de monnaie.
Et les figures du Grand Tour ? Elles sont légion, notamment dans le monde littéraire. Parmi les écrivains français, citons pêle-mêle Alexandre Dumas, Guy de Maupassant, Théophile ou Guy de Maupassant. Dumas entre dans la trentaine quand il démarre en juillet 1832 un voyage qui l’emmènera de Paris jusqu’aux rives du lac Majeur. Le jeune homme va en tirer un ouvrage, le Voyage en Suisse, qui n’a évidemment pas la même place que ses œuvres fameuses mais il est riche d’enseignements sur la manière d’emmagasiner les souvenirs.
Chez les grands écrivains étrangers, Goethe est un peu plus âgé que Dumas quand il entame, à 37 ans, son Grand Tour. A l’été 1786, il est à Carlsbad (aujourd’hui en République tchèque) pour accompagner en cure thermale le duc Charles-Auguste quand il prend soudain la poudre d’escampette. Il file vers l’Italie, pour un long voyage de deux ans. Là aussi, un récit en est tiré, Voyage en Italie, qui atteste des merveilles artistiques croisées et des sentiments suscités.
Frédéric de Monicault