Pascal Copeau: le résistant tombé pour homosexualité

Pascal Copeau, bras droit d'Emmanuel d'Astier de La Vigerie dans le réseau Libération, et soutien de Jean Moulin lors de l'élaboration du CNR, fait partie de ces résistants homosexuels qui ont gardé secrète leur orientation sexuelle. Pierre Leenhardt, son biographe, nous retrace son itinéraire et les raisons de sa chute…

Par Pierre Leenhardt

Pascal Copeau, troisième enfant de Jacques Copeau, célèbre homme de théâtre, et d’Agnès, naît le 23 octobre 1908. C’est dans un milieu littéraire et artistique, entouré de Gide, de Martin du Gard, de Jouvet… qu’il grandit. Une enfance heureuse auprès de sa mère et de ses sœurs, mais aussi chahutée par les aventures artistiques de son père, homme à la forte personnalité.

En 1933, diplômé de sciences politiques et titulaire d’une licence de droit, il s’éloigne de son trop pesant et trop célèbre père en s’installant à Berlin pour y faire ses armes de journaliste.

De 1933 à 1936, ses qualités d’écriture et la justesse de ses analyses politiques font peu à peu de lui un journaliste reconnu et estimé, correspondant de nombreux journaux aux heures les plus agitées de la montée en puissance du nazisme. De ces années allemandes, il retiendra que la guerre est à terme inévitable et que la lutte contre le nazisme est une urgente et absolue nécessité.

En 1937, de retour à Paris, Pascal Copeau devient rédacteur en chef du magazine Vu et lu.

Tandis que la tension internationale s’accroît, en 1938, il est nommé responsable des émissions en langue allemande de la Radiodiffusion française puis, début 1939, directeur de l’ensemble du service des émissions en langues étrangères.

Du journalisme à la Résistance

Brièvement mobilisé à la déclaration de guerre, il est rappelé à la tête de son service, où son action est jugée prioritaire. Pour les émissions en direction de l’Allemagne, il prend lui-même le micro et répond pied à pied à la propagande nazie.

Replié à Bordeaux avec le gouvernement en juin 1940, il entend le discours de Pétain, qui lui met la rage au cœur et les larmes aux yeux. Il n’accepte pas la défaite et la soumission à l’ordre nazi.

Alors qu’on lui en offre la possibilité, il refuse de quitter la France, indécis quant à la forme que doit prendre le combat, soucieux aussi de ne pas perdre la trace du jeune homme qu’il aime et qui est prisonnier en Allemagne.

Quand celui-ci s’évadera et le rejoindra à Lyon, où Copeau a repris des activités journalistiques, ils tenteront ensemble de gagner d’abord les forces anglaises en Afrique du Nord, puis d’atteindre un port portugais et un bateau pour Londres en traversant l’Espagne à pied. Arrêtés par la Garde civile, ils seront remis aux autorités françaises et internés à Pau.

À l’automne 1941, enfin libéré, Pascal Copeau retrouve Lyon et le milieu journalistique.

Et c’est seulement au début de l’été 1942 que cet antinazi déclaré est contacté par Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui dirige le mouvement de résistance Libération Sud.

D’abord responsable du journal clandestin, il prend très vite une place importante dans le mouvement. Sa carrure d’avant-centre de rugby, sa voix grave, son sourire sympathique, son calme imperturbable et sa capacité d’écoute autant que la qualité de ses analyses politiques le font très vite surnommer “le Sage”.

Quand d’Astier sera appelé à Alger par de Gaulle, Copeau prendra sa succession à la tête du mouvement. Il écrit:

“Je voudrais passer dans l’histoire de la Résistance comme étant l’un de ceux qui ont constamment poursuivi la notion d’unité.”

Passé dans la clandestinité totale, en parfait accord politique avec Jean Moulin, il participe aux réunions, souvent houleuses, au cours desquelles Moulin, Fresnay et d’Astier s’affrontent sur la mise en place d’une Armée secrète et sur l’unification des mouvements de résistance, y jouant un rôle de modérateur et de conciliateur.

Il sillonne tout le sud de la France pour mettre en place les directions régionales des mouvements unis de la Résistance, est membre fondateur, après la disparition de Moulin, du Conseil national de la Résistance, participe à la mise en ordre de marche des forces françaises de l’intérieur, est nommé à la Libération membre de l’Assemblée consultative. Il est l’un des principaux dirigeants politiques de la Résistance, allié aux communistes.

Campagne homophobe

En octobre 1945, il est élu en Haute-Saône député à l’Assemblée constituante et participe activement aux travaux d’élaboration d’une nouvelle Constitution. Il est réélu haut la main en juin 1946 à la deuxième constituante. Mais, un mois avant les élections à l’Assemblée nationale de novembre, il retire sa candidature.

Officiellement, il mettra en avant sa difficile relation avec le parti communiste. La réalité est plus sordide.

Quelques mois plus tôt, il a été pris en flagrant délit par une descente de police sur un quai de Seine fréquenté par des homosexuels. L’affaire s’est ébruitée et son adversaire politique en Haute-Saône lance une campagne de presse lourde d’insinuations homophobes.

Sa carrière politique est terminée.

Malgré le soutien d’amis fidèles, comme d’Astier ou les Aubrac, Pascal Copeau sombre dans la dépression et tente de mettre fin à ses jours en mai 1947. Jusqu’en 1952, il survit d’expédients, de ferraillage. Sa sœur Marie-Hélène Dasté le tire alors de la clochardisation et lui permet de rebondir.

Au Maroc, de 1953 à 1960, il retrouve une existence sociale, s’initie au métier dans la jeune télévision marocaine, milite pour la décolonisation.

De retour en France, il travaille d’abord au Service de la recherche de l’ORTF, participe à la création de la troisième chaîne de télévision, puis prend la direction de la station régionale de Dijon.

La retraite venue, la dépression reprend le dessus et, après avoir pathétiquement fait son coming out devant ses amis, les Aubrac, Degliame, Hervé… – à qui il croit toujours avoir donné le change depuis quarante ans, quand eux ont eu à cœur de ne rien dire de cette vie secrète qu’ils connaissaient –, il fait en 1981 une nouvelle tentative de suicide.

Il meurt le 9 novembre 1982, d’un arrêt cardiaque au volant de sa voiture.

Pour la plupart, les grands résistants sont entrés dans l’Histoire soit parce qu’ils sont morts en héros, exécutés, torturés ou déportés par la Gestapo, soit parce qu’au sortir de la guerre ils ont joué un rôle politique durable.

Pascal Copeau a eu la chance de n’avoir jamais été pris par les Allemands. Et s’il n’a pas fait la carrière politique à laquelle ses qualités et son action le destinaient, ce n’est pas pour une question de malchance…

 

DISCUSSION

Historia – Quand rencontre-t-il Jean Moulin? Quels rapports entretiennent les deux hommes?

Pierre Leenhardt — Recruté par Emmanuel d'Astier de La Vigerie à l’été 1942 et devient son bras droit au sein du mouvement Libération dès l’automne 1942. C’est à ce titre qu’il participe à la création des Mouvements unis de la Résistance (MUR) et à l’élaboration du Comité national de la Résistance (CNR), avec Jean Moulin. On ne connaît pas la date exacte de leur rencontre, mais leurs rencontres ont lieu dans le cadre de leur mission, qui est d’unir les mouvements de Résistance. Copeau, basé à Lyon pendant la guerre, participe, au nom de Libération-Sud, aux réunions secrètes de l’élaboration des MUR et du CNR. Le rapport entre les deux hommes est bon. Copeau adhère totalement à la vision de Moulin sur l’organisation de la Résistance.

Dans ses écrits, que vous avez eus entre les mains, dans sa correspondance, son journal, Copeau a-t-il relaté cette période de sa vie? Parle-t-il de Moulin?

Je n’ai trouvé dans les archives de Pascal Copeau aucun document de la Résistance, ni aucune mention de Jean Moulin.

Les deux hommes ont été amenés, par leur action dans la Résistance, à se voir en tête à tête. Pensez-vous que, dans l’hypothèse où Jean Moulin était aussi attiré par les hommes, lui et Pascal Copeau aient pu avoir une attraction l’un envers l’autre ou, à tout le moins, aient connu une certaine intimité?

L’hypothèse d’une relation amoureuse entre les deux hommes me paraît hautement fantaisiste. Ils partageaient incontestablement une connivence politique, mais je pense qu’ils avaient autre chose à faire que batifoler. De plus, l’homosexualité a toujours été un tabou et un poids pour Pascal Copeau. Il n’en faisait pas état, ni à sa famille, ni à ses amis. Ce n’est que quelque temps avant sa mort, en 1982, qu’il a avoué à certains de ses plus fidèles amis, dont les époux Aubrac, qu’il était homosexuel. Ce qu’ils avaient tous deviné, bien évidemment…

Pascal Copeau a vu sa carrière brisée pour homosexualité…

Fin 1946, auréolé de son passé de résistant, il se présente aux élections législatives en Haute-Saône, mais son adversaire, profitant de la rumeur que Copeau est homosexuel, y fait de lourdes allusions dans la presse et dans ses documents de campagne, en jouant sur les “tente” et “tante”, par exemple. La même année, Copeau a été pris en flagrant délit sur un quai fréquenté par des homosexuels. Éclaboussé par ce scandale, Copeau retire sa candidature et tente de mettre fin à ses jours au printemps 1947. S’ensuivent pour lui des années de déchéance.

Il n’a jamais terminé ses Mémoires…

Il entreprend de les rédiger au début des années 1970, encouragé en cela par les époux Aubrac, mais abandonne après avoir composé une cinquantaine de pages – très bien écrites d'ailleurs. Je suppose que faire état de son homosexualité – et revivre sa chute, en 1946, pour homosexualité – était inconcevable. Toutefois, sa fierté d’avoir été résistant l’a toujours accompagné. Et il est resté très proche des Aubrac, de Marcel Degliame (“Fouché”, dans le mouvement Combat) et Pierre Hervé (de Libération-Sud).

Propos recueillis par Xavier Donzelli

À lire: Pascal Copeau (1908-1982). L’Histoire préfère les vainqueurs, de Pierre Leenhardt (L’Harmattan, 1994).

 

 

 

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