Un troisième choc pétrolier

À ceux qui l’interrogeaient sur la fin du pétrole, Cheick Yamani, emblématique ministre saoudien des années 1970, répondait invariablement : « l’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres ; il en sera de même pour le pétrole ». Autrement dit, il y aura toujours du pétrole, la ressource sera toujours abondante, le tout est d’y mettre le prix.
En 1970, le baril de brut saoudien de 157 litres valait 1,8 US$ (1) et l’OPEP, qui existait depuis dix ans, s’apprêtait à en demander le doublement, au grand dam des « Sept sœurs », les compagnies anglo-saxonnes qui dominaient alors le marché mondial. Un peu plus tard, pendant la guerre de Kippour (1973), les pays arabes instituèrent un embargo à l’encontre de ceux des pays occidentaux qui soutenaient Israël. Et le brut grimpa à 10 $/baril. Ce fut le Premier choc pétrolier. L’Arabie saoudite du Roi Fayçal avait été à l’initiative de cet embargo à la grande fureur des Américains, leur allié traditionnel dans le Golfe. Coïncidence ou vengeance de la CIA, en 1975, Fayçal est assassiné par un lointain cousin.
 Le deuxième choc pétrolier provoqué par la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak voit le baril encore doubler à plus de 20 $. À partir des années 1990/2000, la montée en puissance de l’économie chinoise dope la demande mondiale et dynamise les prix. Ils atteindront brièvement les 100/120 $ en 2008, peu avant « la crise des subprimes ».

Les États-Unis de nouveau 1er producteur mondial

Entre temps, le paysage pétrolier a beaucoup évolué car les États-Unis – grâce au pétrole de schiste – ont reconquis leur position de premier producteur mondial, comme c’était le cas dans les années 1900, au temps de la splendeur des Rockefeller et d’Exxon, leur société.
Cette position contrarie deux autres exportateurs mondiaux qui y voient une concurrence déloyale: l’Arabie, qui veut conserver un baril autour de 80 $ compatible avec les immenses projets de développement du Prince Salman, et la Russie, à la recherche d’une occasion pour s’opposer géopolitiquement aux États-Unis. Chacun des deux s’est mis à produire des quantités considérables de pétrole pour inonder le marché, faire baisser les prix et concurrencer les producteurs américains. Si l’extraction du brut saoudien coûte peu cher en revanche, l’exploitation du pétrole de schiste nécessite un prix minimum de 30 $.
La manœuvre russo-saoudienne a, semble-t-il, réussi puisque nombre de petits exploitants américains du Texas ou du Dakota vont fermer boutique. Mais le Prince Salman s’est peut être tiré une balle dans le pied. Il contrarie son allié et protecteur américain et il se prive de recettes importantes pour ses projets pharaoniques.
Car le prix du baril a dégringolé si bas que la remontée sera lente, en ces temps de pandémie où près de la moitié de la population mondiale est confinée. Une crise mondiale qui constitue bien un troisième choc pétrolier, à l’envers des précédents.
Paul-François Trioux

Journaliste et éditeur, chroniqueur régulier de la rubrique Podcasts dans Historia
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(1)    Compte tenu de l’inflation, un dollar de 1970  représentait en pouvoir d’achat environ 8 à 10 fois plus qu’un dollar d’aujourd’hui.
 

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