Tintin et les faux prophètes. C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue !

Qui en appelle à la pénitence ? Qui annonce le châtiment ? C’est Philippulus le Prophète, vous l’avez-peut-être reconnu, l’étrange personnage, chauve, à la longue barbe, qui apparaît au début de L’Étoile mystérieuse

Ce n’est pas pour me vanter, mais moi, pour ne pas confiner idiot, je relis les aventures de Tintin (et ce n’est pas un re de complaisance). L’atmosphère cauchemardesque des premières pages de L’Étoile mystérieuse (1942) m’a toujours fasciné, et Philippulus, le fou échappé de l’asile, me plaît beaucoup. Alors qu’une comète menace la terre, il prédit l’Apocalypse : « Je suis Philippulus le Prophète. Et je vous annonce que des jours de terreur vont venir ! La fin du monde est proche ! Tout le monde va périr ! Et les survivants mourront de faim et de froid ! Et ils auront la peste, la rougeole et le choléra ! » L’absurdité du discours prophétique est magnifiquement révélée dans la juxtaposition « Tout le monde va périr ! » / « Et les survivants mourront … ». Quelle belle trouvaille !

Un monde saturé de signes devant précéder la fin du monde

Philippulus aurait pu vivre à la fin du xvie siècle, parmi les contemporains d’Henri III. Le prêtre provinois Claude Haton ne parlait pas autrement quand il évoquait l’apparition de la « peste » en 1580 (la France était restée relativement épargnée par les épidémies au xvie siècle), qui faisait suite à un « grand et épouvantable tremblement de terre » : « Car nous sommes au temps des signes qui doivent précéder ledit jugement, selon ce que Jésus-Christ nous a dit : que les signes qui précéderont la fin du monde seront les guerres civiles pour le fait de la religion, la venue des faux prophètes, de l’Antéchrist, les pestilences, la famine et les tremblements de terre en plusieurs lieux. » Quelques mois plus tard, une comète apparut dans le ciel nocturne, mais elle était moins effrayante que la grande comète vue en 1577. Il ne faisait cependant aucun doute qu’elle annonçait la continuation des guerres ou la mort de quelque roi ou grand personnage.

Claude Haton et Philippulus le Prophète vivent tous deux dans un monde saturé de signes, où l’on recherche sans relâche la présence des puissances surnaturelles. Pour l’un comme pour l’autre, les prophéties sont des appels à la soumission. Faire peur, accuser, condamner les mécréants, tout cela confère un immense pouvoir, au xvie siècle comme aujourd’hui.

J’aime beaucoup la façon dont Tintin finit par faire taire Philippulus, alors que celui-ci s’est accroché au mât du navire Aurore, sur lequel le héros doit partir à la découverte de l’éclat de comète qui s’est abîmé dans l’océan Arctique. Saisissant un portevoix, il proclame : « Allo, allo ! Ici Dieu le Père ! Prophète Philippulus, je vous ordonne de redescendre sur terre ! Et faites attention : ne vous cassez pas la figure ! »

La leçon doit être retenue : il ne faut pas hésiter à parler plus fort que les prophètes autoproclamés.

Nicolas Le Roux
Historien moderniste, professeur à l'Université de Lyon

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