
Saint Louis, piété et comorbidité
La peste ? Le choléra, la dysenterie ? On ne sait pas trop de quoi est mort Saint Louis, le 25 août 1270. Une étude récente, réalisée par le fameux médecin légiste Philippe Charlier, conclut au scorbut. Mais plusieurs causes ont dû jouer, car le scorbut, provoqué par une carence en vitamine C, n’est pas contagieux. Nombreux, pourtant, sont ceux qui ont succombé aussi, en cet été 1270, dans le camp installé près des ruines de Carthage. La victime la plus illustre, c’est bien sûr le roi de France. Né en 1214, Saint Louis a 56 ans. Son âge ne fait pas de lui un vieillard ; son ami Joinville, né en 1224, ne mourra qu’en 1317, à l’âge de 93 ans. Mais Saint Louis a plusieurs facteurs de comorbidité, comme on le dirait aujourd’hui.
C’est d’abord que sa santé a toujours été fragile. À deux reprises au moins, il a été à la dernière extrémité. En 1244, par exemple, alors qu’il n’a que trente ans, il est si mal qu’une des dames qui le veillent le croit mort et lui rabat le drap sur le visage – c’est pour remercier Dieu de sa guérison que Louis décide de prendre la croix et de s’engager à partir pour la Terre sainte. Au printemps 1250, au cours de sa première croisade, en Égypte, Louis tombe malade.
Saint Louis, un corps affaibli mais une volonté d’acier
C’est certainement, cette fois, le scorbut (ses dents se déchaussent), mais il est également frappé, comme ses compagnons, de fortes diarrhées, probablement pour avoir bu l’eau du Nil. De retour en France, après 1254, Saint Louis souffre périodiquement d’œdèmes à la jambe, une possible séquelle du scorbut. Tout cela aurait dû encourager Louis à se ménager. Or c’est loin d’être le cas. Pas question, pour lui, de chasser ou de participer aux tournois, deux distractions qu’il trouve frivole, mais qui auraient été autant d’occasions de s’exercer au grand air. Or Saint Louis s’adonne à d’autres exercices : hanté par la crainte du péché, poursuivi par la culpabilité d’avoir échoué à libérer Jérusalem, il multiplie les privations et les mortifications. Habillé de noir, il se refuse tout plaisir et s’abîme dans les prières ; même ses confesseurs l’incitent à se montrer moins sévère avec lui-même. Rien n’y fait, et, le vendredi, Saint Louis reçoit la discipline : il demande à un des prêtres qui l’entoure de le fouetter, pour qu’il puisse ainsi expier ses péchés. Cette pratique se déroule dans le secret, et beaucoup de serviteurs du roi l’ignorent. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, en effet, cette extrême piété ne va pas de soi, et les prêtres eux-mêmes redoutent les messes à répétition et les sermons interminables dont le roi se délecte.
En 1267, Saint Louis reprend la croix. Cet homme au corps affaibli a toujours une volonté d’acier, qu’il parvient à imposer à sa chevalerie réticente. Mi-juillet 1270, l’armée croisée débarque sur les côtes d’Afrique, non loin de Tunis. Au début du mois d’août, les premiers symptômes se déclarent, la diarrhée, comme en Égypte. Les semaines qui suivent voient une lente dégradation ; Louis perd parfois connaissance, parfois seulement l’usage de la parole. Pas question, pourtant, de rater sa sortie. Alors que la fin approche, il peut se confesser, réciter ses prières, invoquer saint Denis, le protecteur du royaume, et sainte Geneviève, la patronne de Paris. Il meurt comme sans doute il l’avait rêvé, allongé sur un lit de cendres auquel on a donné la forme d’une croix : l’humilité poussée jusqu’au plus grand orgueil.
Xavier Hélary
Médiéviste, spécialiste de la guerre au Moyen Âge et de la royauté française au XIIIe siècle