
Renaissance italienne et architecture médicale adaptée aux fléaux
Si la Renaissance italienne fit basculer l’Europe entière dans la modernité, elle connut elle aussi la sinistre expérience de la pandémie, et sur un mode terriblement récurrent. Ainsi la ville de Milan subit-elle, entre 1300 et 1500, vingt assauts de la “peste”. Encore envisagé au début du Trecento comme un fléau divin, le phénomène s’était peu à peu “laïcisé”, la peste apparaissant désormais comme maladie (morbus) ou fièvre infectieuse (febris infecta). Dès 1360, d’ailleurs, le médecin milanais Cardone de Panzotis avait tiré de l’épidémie de 1348 un best seller, le traité De preservatione a pestilentia dédié au duc d’alors, Gian Galeazzo Visconti, et où se trouve évoqué pour la première fois le problème de la… contagion, les seuls lépreux « bénéficiant » jusque-là d’hôpitaux spécifiques, tandis que les pestiférés se trouvaient mêlés aux autres malades, dans des établissements traditionnels.
Il s’agit d’un véritable recueil de précautions : éviter tout contact physique avec les malades, les isoler longuement, les ventiler, brûler leurs effets… De fait, Gian Galeazzo suivit ces conseils, et, lors de l’épidémie de 1399, il ordonna de limiter les réunions publiques, de séparer, dans les processions, les Milanais des étrangers, d’expulser les cas douteux dans des “lazarets’’ de plus en plus éloignés, de fermer les moyens d’accès à la ville… Mais la question était complexe : il fallait trouver des lieux de confinement suffisamment éloignés de Milan pour éviter les dangers de la contagion, mais suffisamment proches pour permettre un ensevelissement rapide des victimes dans l’un des cimetières agréés. Or on vit bien en 1447, lors d’une épidémie particulièrement lourde, que les lazarets étaient trop éloignés : pour isoler les malades, on dut alors construire à la hâte des baraquements provisoires au plus prêt des foyers d’infection.
Fuir n’est pas la solution
Fuir n’était donc pas la solution, comme le montra le Siennois Antonio Bettini, en 1467, dans un traité qui fit grand bruit, le De pestilentia non vitanda per fugam (Se garder d’éviter la contagion par la fuite). Le mal, récurrent, ne pouvait se traiter que sur place et la réflexion déboucha sur la conception d’une architecture médicale rationnelle, à l’opposé du glacis de ruelles insalubres si propice, au cœur de la ville, à la funeste contagion : après les deux lazarets de Venise (1471), puis celui de Gênes et le lazaret florentin construit après l’épidémie de 1485, le Lazaretto de la Porta Orientale fut donc, à Milan, la réponse “renaissante’’ à un fléau surgi des temps obscurs. Régulièrement complétée jusqu’à l’épidémie de 1630, c’était une véritable forteresse carrée, entourée d’un fossé, où l’on ne pénétrait que par un pont-levis : elles avait 370 m de côté, avec, sur le pourtour, 288 chambres individuelles contigües mais isolées, les unes pour les cas suspects, les autres pour les malades, avec chacune deux fenêtres, deux trous de ventilation et un lit en paille que l’on brûlait après chaque départ, ainsi que des cellules-prisons pour les contrevenants de toutes espèces, et d’autres enfin pour médecins et barbiers. Sans oublier deux chapelles pour les enterrements. Et la rationalité de son organisation, froide et militaire, fit très vite apparaître cette cité hospitalière, en ces temps de guerre, comme la seule véritable arme possible contre les attaques du fléau. La Renaissance savait se défendre.
Jean-Yves Boriaud
Latiniste et spécialiste de la Rome renaissante