
Quand la fièvre jaune a emporté… l’esclavage
À l’automne 1801, alors que la paix générale de l’Europe est proche, que les mers sont à nouveau libres, le Premier Consul Bonaparte entend ramener à l’obéissance la plus belle des colonies françaises, l’île à sucre de Saint-Domingue (Haïti). Il s’agit de mettre un terme à une expérience autonomiste, sous l’autorité du général noir Toussaint-Louverture, devenu gouverneur à vie ; mais certains voudraient en profiter pour y rétablir l’esclavage, aboli depuis 1794. Un corps expéditionnaire de plus de 20 000 hommes, commandé par le beau-frère de Bonaparte, le général Leclerc, débarque en février 1802. Après de durs combats, des généraux noirs se rallient, tels Dessalines et Christophe. En mai, Toussaint-Louverture signe sa reddition ; il est envoyé en France, incarcéré au fort de Joux (Doubs) et meurt en 1803. L’île est cependant loin d’être apaisée, et un ennemi invisible commence à se manifester : la fièvre jaune. Elle s’accentue à l’été 1802, au moment où parvient l’annonce d’un rétablissement de l’esclavage dans la Guadeloupe voisine. Beaucoup craignent la même issue à Saint-Domingue. La révolte noire se transforme en guerre d’indépendance, qui donne naissance à la république d’Haïti le 1er janvier 1804.
La fièvre jaune décime les rangs de l’expédition militaire
Leclerc a mesuré la gravité de l’épidémie dès le printemps 1802 : « La mortalité est effrayante dans nos rangs, écrit-il en juin. Je perds par jour 30 à 50 hommes au moins. » Selon l’un des premiers historiens de l’expédition, Antoine Métral (1825), « des bataillons entiers ne faisaient que paraître et disparaître, et la maladie laissait les noirs sans ennemis ». Alors que la maladie épargne les populations créoles, elle frappe durement les jeunes métropolitains. Face à l’épidémie, qui se propage par les moustiques, les médecins soignent comme ils peuvent. Lorsque le général Hardy tombe malade, on lui prescrit des bains de pieds le premier jour, des saignées le deuxième, des infusions de quinquina les troisième et quatrième... Il meurt le cinquième jour. La maladie emporte jusqu’au général Leclerc.
La fièvre jaune contribue à faire échouer le rétablissement de l’esclavage à Saint-Domingue
Tandis que l’esclavage est réintroduit en Guadeloupe et en Guyane, la fièvre jaune contribue à l’échec de son rétablissement à Saint-Domingue. En 1803, les Français renoncent à la colonie. Dans les années suivantes, nombre de médecins s’interrogent sur la maladie et ses possibles remèdes. Beaucoup débattent de l’efficacité du quinquina, une écorce employée contre les fièvres. Certains en doutent, comme l’officier de santé Deprétit : « Il ne m’a jamais réussi dans cette maladie. » Beaucoup d’autres y croient, et le médicament a une longue vie devant lui. Le quinquina est à l’origine de la quinine, puis de ses dérivés et substituts, comme la... chloroquine.
Hervé Leuwers
Historien de la Révolution française et spécialiste de l’histoire de la justice et des professions judiciaires.