Peste & Héros

Longtemps, la seule médication contre l’épidémie, ce fut…la fuite. La pire : elle dissémine la mort à tous vents.

Fuient d’abord ceux qui savent où aller. En 1720, à Marseille, ce sont les notables qui courent se cadenasser dans leurs résidences secondaires de Provence qu’on appelle alors des bastides. « Tout déserte, tout abandonne, tout fuit… », note un procureur marseillais. Tous ?  Non ! Certains officiels ne se dérobent pas. Et dans la Marseille pestilentielle de 1720, il fallait s’accrocher : une apocalypse virale où des morts vivants rampent dans le cloaque des cadavres. Un homme incarne la résistance : Monseigneur de Belsunce. Tous les jours, l’évêque de Marseille – né protestant et formé par les Jésuites – sort en ville, assiste les familles, les malades, confesse, absout, prend la tête des processions : « À Dieu ne plaise que j'abandonne une population dont je suis obligé d'être le père. Je lui dois mes soins et ma vie, puisque je suis son pasteur. » Chateaubriand louera son « courage », Victor Hugo le hissera quasiment au rang de « Saint laïc », et Camus dans « la Peste » lui réserve une bonne place. Les Marseillais aussi se souviennent : la statue du prélat est inaugurée en 1852 sur le parvis de la Cathédrale de La Major pas bien loin du Cours… Belsunce. Et en 1944, les résistants déboulonnent les 2800 kilos de bronze pour mettre la statue à l’abri de l’occupant allemand.

Les grandes pestes générèrent parfois quelques hommes de la même envergure.

Bien avant Mgr de Belsunce, un autre prélat se distingua face à la mère des pestes, celle de 1348, qui faucha une bonne moitié des hommes et femmes de l’Occident médiéval. Ce prélat, c’était le pape d’Avignon. De son petit nom Pierre Roger, le corrézien Clément VI  dit « le Magnifique » était un théologien de haute tenue qui se mobilisa sur tous les fronts. Sanitaire ; il engagea des médecins sur sa cassette, distribua des remèdes, acheta un terrain pour ensevelir les cadavres quand les cimetières avignonnais débordaient. Politique ; il publia deux bulles frappant d’excommunication ceux qui persécutaient ou brûlaient les Juifs.  Le dernier front a une portée considérable : Clément VI ordonne l’autopsie des pestiférés pour découvrir l’origine de la maladie. Suspecte de sorcellerie ou de meurtre camouflé, la dissection était jusque-là quasiment prohibée par les autorités civiles et religieuses. A l’Université de Bologne, une seule et unique autopsie par an était autorisée, Une tous les trois ans à l’université de Lérida en Espagne ! Les grands pestes générèrent parfois quelques hommes de la même envergure. N’oublions pas cependant les anonymes : ces 506 galériens, des esclaves, qui contre une promesse d’affranchissement ont nettoyé Marseille en 1720-1721 de ses milliers de cadavres, 71 seulement ont officiellement obtenu leur liberté…

Guillaume Malaurie

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