Servis par les réseaux sociaux, les rumeurs se diffusent et empoisonnent les esprits. Ne savez-vous donc pas que le coronavirus a été conçu dans un laboratoire civil ou militaire ? En Chine ou aux Etats-Unis ou encore en France ? Qu’il s’en est échappé, involontairement ou volontairement ? Que certains coquins possèdent déjà le vaccin mais attendent l’heure de le sortir pour gagner plein d’argent ? Si vous ignorez la vérité du net et que vous préférez lire la presse, c’est que vous êtes bien ignorant. On vous ment ! Il y a complot, on vous dit ! D’ailleurs, il y a toujours complot. Et complot juif la plupart du temps. Il est né à l’extrême droite, avec Edouard Drumont en 1886, et a permis de tout expliquer : complot judéo-maçonnique tout d’abord, judéo-bolchevique ensuite et américano-sioniste aujourd’hui. Hier, les Juifs étaient les responsables de la peste. Comme personne ne pouvait comprendre l’épidémie au Moyen Âge, il fallait forcément que ce soit un fléau de Dieu, à moins que les Juifs n’aient empoisonné les puits… Un bon petit massacre soulageait les peurs de l’humanité. Ah oui, direz-vous, mais c’était un temps reculé, celui d’esprits englués dans la superstition, et nous sommes tellement plus intelligents à l’époque contemporaine parce que la science rationaliste est passée par là.

1920. La peste de retour à Paris

En 1920, pourtant, une terrifiante rumeur se répand dans les rues de Paris : la maladie n°9 – c’est le nom que l’on donne à la peste dont on a tellement peur qu’on se refuse à la nommer – serait en train de se multiplier à partir du IVe arrondissement. Le marais, alors constitué d’immeubles insalubres, est justement le quartier où affluent des réfugiés juifs d’Europe centrale et orientale qui fuient la guerre, les pogroms et l’antisémitisme d’Etat. Ces pauvres, qui s’entassent dans les taudis du quartier juif, sont accusés d’apporter avec eux, vermine, rats, poux et peste ! Le 3 décembre, la Haute assemblée s’empare de la question : le sénateur Gaudin de Vilaine interpelle le gouvernement pour dénoncer les sémites et autres métèques véhiculant toutes sortes de microbes. « Les pouvoirs publics, avec une indifférence coupable, tolèrent l’envahissement de notre capitale par des cohortes minables d’Asiatiques porteurs des germes de nombreuses maladies épidémiques des plus dangereuses. […] Attendra-t-on pour agir que la maladie n°9 ait transformé Paris en nécropole ? » C’était il y a cent ans.

Jean-Yves Le Naour
Historien, spécialiste de la Première Guerre mondiale et de l'entre-deux-guerres.