
Francs-maçons et confinement, affinités électives ?
Société initiatique multiséculaire, discrète à défaut d’être secrète, la franc-maçonnerie française regroupe une centaine de milliers de femmes et d’hommes de toutes conditions sociales, de toutes opinions politiques, animés ou pas par une croyance religieuse, quelle que soit la religion.
Les francs-maçons sont-ils mieux armés que des profanes pour supporter le confinement, donc l’enfermement, voire même la solitude et le silence qu’il induit parfois ? La question mérite d’être posée.
Le confinement, les francs-maçons le connaissent et le pratiquent, eux qui s’enferment volontairement environ deux fois par mois dans leurs temples, c’est ainsi qu’ils dénomment leurs lieux de réunion, espaces clos dans lesquels ils travaillent selon des rituels précis. Le temple peut certes être symbolique : les francs-maçons déportés à Buchenwald, qui s’étaient reconnus comme tels, ne pouvaient pas s’enfermer dans un espace dédié. Alors, ils ont tracé au sol un rectangle, y ont pénétré. Le temple était constitué.
Pour apprendre à penser le maçon choisit donc de s’isoler sans se laisser distraire par le monde extérieur
Les rituels constituent un aspect décisif, ils ordonnent les travaux et permettent de se concentrer sur l’essentiel : travailler intellectuellement, réfléchir, écouter (et surtout entendre l’autre…) puis prendre la parole après l’avoir maitrisée. Une autre forme d’enfermement ? Peut-être. Mais le maçon la choisit librement : il accepte de ne prendre la parole que quand il l’a demandée, il ne peut couper celui qui s’exprime. Durant ce laps de temps, il intègre ce que dit l’autre maçon, il peaufine ses arguments, maitrise ses impulsions, ses passions, ses mouvements d’humeur.
Un autre point doit être avancé : qui dit confinement dit silence, pour une grande partie de la journée. Certains Français ne le supportent pas. Et le franc-maçon ? Il est habitué au silence, il n’en a pas peur. Il n’a pas davantage peur d’être face à lui-même. Au contraire. Comme dans le temple, il peut ouvrir chez lui son esprit posément, comme il peut aussi accepter une vie au ralenti, moins tournée vers l’extérieur, débarrassée du superflu. Confronté à l’avalanche d’informations souvent contradictoires, rarement vérifiées, il sait douter, se départir des idées reçues, des préjugés aussi.
Alors, que répondre à cette interrogation… franc-maçonnerie et confinement ? On peut penser que l’initiation forge l’esprit, que les maçons sont mieux armés pour supporter un enfermement imposé. On ne peut toutefois pas généraliser ce constat. Comme tout à chacun, ils sont en proie au doute, à l’angoisse, à l’impatience. La discipline et le silence qu’ils ont appris à dompter peut-être une aide précieuse en ces temps d’enfermement. Sans que cela ne constitue un remède absolu.
Denis Lefebvre
Journaliste et écrivain, historien du socialisme. Derniers ouvrages parus : Les secrets de l'expédition de Suez 1956, Éditions du CNRS, collection "Biblis", 2019 et Henri La Fontaine, franc-maçon, Éditions de la Fondation Henri La Fontaine, Bruxelles, 2019.