Deux Amériques face à la pandémie

Depuis le début de la crise sanitaire, les États-Unis affichent un visage déconcertant. Et dans le reste du monde, l’anti-américanisme s’en donne à cœur joie. Ses tenants en profitent pour tirer à boulets rouges sur la faiblesse de la protection sociale, le coût exorbitant de la couverture médicale, les inégalités sociales, les tensions raciales, la malbouffe et le goût immodéré de nos voisins outre-Atlantique pour les armes. Rien, cependant, ne surpasse les déclarations aberrantes de Donald Trump, en campagne pour sa réélection. Parmi celles-ci, le président en exercice a surpris en affichant, de manière incendiaire, son soutien aux manifestants anti-confinement des États du Minnesota, du Michigan et de Virginia, des bastions aux mains de gouverneurs démocrates. Voir le locataire de la Maison-Blanche, garant de l’unité nationale et commandant en chef des armées, appeler à la désobéissance et à la rébellion au sein de la fédération, est une situation incongrue. C’est du jamais vu depuis que les États-Unis sont entrés dans le concert des nations en 1783, à l’issue d’une lutte pour l’indépendance contre la Couronne britannique.

Une démocratie américaine pleine de contradictions

La situation rappelle que la démocratie américaine, premier exemple de fédéralisme appliqué des temps modernes, est pleine de contradictions et subit encore les contrecoups de la guerre civile (1861-1865), fatale à 630 000 Américains et à une éphémère confédération esclavagiste. Deux Amériques, aux marges géographiques plus floues, continuent à s’opposer et incarnent une société à deux vitesses, où les déshérités et les vaincus de la mondialisation ouvrent la porte aux replis identitaires. Du Massachusetts à la Californie en passant par le Texas, les particularismes locaux restent vigoureux et sont consacrés par la loi. Conséquence de ce modèle politique, leurs citoyens doivent une double allégeance, à leur État de résidence et à leur pays. À l’aube d’une nouvelle récession économique, les chauffer à blanc n’augure rien de bon. Certes, le spectre de la sécession n’est pas prêt de ressurgir. Il n’empêche qu’Abraham Lincoln, prophète de l’Union et pourfendeur de l’esclavage, doit se retourner dans sa tombe.
Farid Ameur

Historien spécialiste de l’histoire contemporaine des États-Unis et en particulier de la guerre de Sécession.

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