Oublier Tartarin
Partons sur les voies, les pistes et les traces de l’un des plus beaux musées de Paris et de sa stimulante revue d’art et d’histoire…
En ces temps de véganisme doloriste, le musée de la Chasse et de la Nature, qui ouvre à nouveau ses portes en juillet, s’offrira au visiteur comme un havre de rêveries, si bien capturées par Janine Janet…
Le Dieu de la forêt, par Jeanine Janet (1913-2000), musée de la Chasse et de la Nature.
Pourtant, difficile de parler de chasse aujourd’hui, tant le sujet s’avère clivant. Pour nombre de nos concitoyens, cette pratique sanglante etc. se résume à deux figures : le nemrod aviné ou l’aristocrate pincé à la tête de sa meute. Ce dernier – ou son image – offrant d’ailleurs un beau sujet de réflexion tant pour les sociologues que pour les pages faits divers.
Détail de la rosace de la façade ouest de Notre-Dame de Paris : les vices : la lâcheté.
Si l’on se détourne de ces chicayas, la chasse fournit pourtant un remarquable sujet de réflexion pour l’artiste et l’historien. Depuis des millénaires, la cynégétique affirme la distinction entre l'humain et le bestial, en canalisant la part de violence que chacun porte en soi : de manière symbolique, en dominant l’animal sauvage, les hommes participent à la mise en ordre du monde. Même Rousseau, le gentil Rousseau, préconise dans son Émile ou de l’Éducation (1762) de chasser, car la chasse permet d’apprendre à contrôler ses passions.
« Si la chasse est jamais un plaisir innocent, si jamais elle est convenable à l’homme, c’est à présent qu’il y faut avoir recours. Émile a tout ce qu’il faut pour y réussir ; il est robuste, adroit, patient, infatigable. Infailliblement il prendra du goût pour cet exercice ; il y mettra toute l’ardeur de son âge ; il y perdra, du moins pour un temps, les dangereux penchants qui naissent de la mollesse. La chasse endurcit le cœur aussi bien que le corps… »
Dans la Grèce antique, la chasse participe de la paicleia, l'éducation de la jeunesse. Chasse au lion (IVe s. av. J.-C., Pella, Macédoine).
Donc rien d’étonnant à ce que cette activité soit aussi celle des rois et des princes qui, par la mise en scène de la mort de l’animal, participent à un ordre du monde, dont notre imaginaire est encore pétri. Ne devons-nous pas aux souverains perses notre notion de « paradis » ? Un mot qui désignait des parcs clos, emplis de gibier, comme Xénophon le rapporte dans son Anabase
« Cyrus avait une résidence royale et un grand parc, rempli de bêtes sauvages qu’il chassait à cheval, quand il voulait s’exercer, lui et ses chevaux. »
La chasse irrigue donc, qu’on s’en défende ou non, notre vocabulaire, notre imaginaire, notre histoire : les berges du Cosson, à Chambord, resteraient le royaume des grenouilles sans la passion dévorante de François Ier pour la chasse. Et quelle source d’inspiration pour les artistes ! On pense bien sûr à l’enlumineur de l’un des exemplaires du Livre de Chasse de Gaston Fébus, dont les bibliothèques ne conservent pas moins d’une cinquantaine de copies – preuve de l’immense succès de l’œuvre.
Le prince béarnais passe en revue différent types de chasse, dont l’une des plus subtiles, n’en déplaise à Ernst Jünger, reste l’oisellerie. C’est le beau sujet de la dernière livraison de la revue du musée de la Chasse, la bien nommée Billebaude (« chasse au hasard »). Lancée en 2012 cette revue questionne nos usages, nos représentations (et, souvent, notre méconnaissance) de la nature et lance de fructueuses passerelles entre chercheurs, historiens, artistes et acteurs de terrains.
Frédéric II (1194-1250) et un faucon représentés dans son De arte venandi cum avibus.
On retrouve donc dans ce numéro une belle étude sur le royal théoricien de la fauconnerie, le fantasque et étonnant Frédéric II, auteur du De arte venandi cum avibus (« De l’art de chasser avec les oiseaux »). Ici la relation entre l’homme et le rapace atteint au philosophique puisqu’elle se pense comme une occasion de dépasser la nature et ses contraintes.
« La fauconnerie n’a en soi rien de naturel. [Capturer un faucon] afin d’en faire un auxiliaire de l’homme pour une forme sophistiquée de chasse est totalement contraire à la nature de ces oiseaux qui abhorrent l’homme. Frédéric II y voit même un des motifs pour lesquels la chasse au vol est la plus noble des chasses : il est bien plus difficile d’affaiter des rapaces que de dresser des chiens. » - Baudoin Van Den Abeele
L’oisellerie, déjà considérée par Élien (IIe-IIIe s.) dans La Personnalité des animaux comme l’une des chasses les plus exigeantes – en raison de l’intelligence même de l’animal –, reste en usage aujourd’hui. L’occasion d’un beau portrait de Patrick Morel, maître fauconnier.
« « Lâcher un oiseau dans le ciel, c’est comme diriger une symphonie pour un chef d’orchestre. » - Patrick Morel.
Mais tout ça, c’est du passé rance ? Sûrement pas et l’actualité de la fauconnerie permet à l’artiste roumain Mircea Cantor de s’interroger sur les angoisses de notre monde technicisé. En confrontant un drone et un aigle, l’artiste fait acte de « résistance poétique »…
Aquila non capit muscas (« L’aigle ne chasse pas les mouches »), vidéo de Mircea Cantor (2018).
Dans le prologue de son Livre de chasse, Fébus écrivait
« Donc dis-je que veneurs s’en vont en paradis, quand ils meurent, et vivent en ce monde plus joyeusement que nulle autre gent. »
Nul doute alors que le paradis, terrestre ou céleste, ne soit ouvert aux lecteurs et aux rédacteurs de Billebaude !