Pourquoi un article sur la bataille de Dakar ?

Venant d’un historien plus connu pour ses ouvrages sur la Rome antique que sur la Seconde Guerre mondiale, le fait de publier un article sur la bataille de Dakar en 1940 peut surprendre. Il y a plusieurs raisons à ce paradoxe. Tout d’abord, je ne me suis jamais senti « prisonnier » de ma période comme, hélas, beaucoup d’universitaires. Pour preuve, ma première thèse portait sur la Révolution et la seconde sur les gladiateurs. Ensuite, enseignant dans la « petite » université de Nîmes, le manque d’enseignants-chercheurs (nous sommes quatre depuis peu) m’a donné l’opportunité de dispenser des cours dans plusieurs périodes. L’histoire romaine bien sûr, mais aussi la Révolution et l’Empire et depuis plus de dix ans, la Seconde Guerre mondiale. Mon intérêt pour cette période remonte à l’enfance et à la chance d’avoir pu entendre les récits de mes quatre grands-parents qui avaient connu, voire fait, la Seconde et même la Première Guerre mondiale.

La Seconde Guerre mondiale ? Une période lointaine pour mes étudiants en Histoire

Alors que cette période me semblait relever d’une histoire encore presque vivante, j’ai pu constater à quel point elle paraissait aussi lointaine que Clovis ou Charlemagne pour mes étudiants. Ce constat m’a incité à faire un cours destiné aux historiens et aux autres étudiants de mon université. Ensuite, la sortie de deux films anglo-saxons, « Dunkerque » et « Les heures sombres » a constitué un second déclic. Dans ces deux films de guerre consacrés à la Bataille de France, les soldats français sont très loin dans l’arrière-plan, laissant à penser que seuls les Anglais auraient participé à cette bataille. Plutôt que de gémir contre cette vision « anglo-centrée » de l’histoire de France, je me suis dit qu’il était plus efficace de prendre mon clavier.
Afin de toucher un plus large public et rendre cette histoire plus accessible, j’ai choisi de faire un roman (très) historique sur la bataille de France, « L’an 40 » aux éditions Michalon. Certes, on dira que je ne suis pas un « spécialiste », mais comme je suis historien depuis près de quarante ans, je pense avoir acquis une certaine méthode. Celle-ci m’a permis de consulter les mémoires des acteurs connus ou obscurs de l’époque. J’ai aussi lu les journaux de marche des bataillons de chars. Grâce au musée des blindés de Saumur, j’ai même pu plonger dans les entrailles des blindés français. J’ai épluché les magazines, écouté les chansons, les émissions de radio et tout ce qui faisait le culture militaire et populaire du temps en recourant aussi aux récits familiaux. Comme le livre a été bien accueilli, les éditions Michalon m’ont proposé de poursuivre cette aventure sous forme de saga, dont le tome 2 sortira début 2021.

Qui se rappelle encore de cette bataille de Dakar où, pour la première fois de la guerre, des Français ont tiré sur d’autres Français ?

En suivant la même méthode, j’ai pu aborder la vie des Français de juillet 1940 à juillet 1941. Cela m’a conduit à évoquer des épisodes encore plus méconnus que la campagne de France. Qui se souvient en effet de Mers-el-Kébir, de Montoire et de la guerre fratricide entre Français en Syrie ? Et qui se rappelle encore de cette bataille de Dakar où, pour la première fois de la guerre mais hélas pas la dernière, des Français ont tiré sur d’autres Français ? Cet épisode dramatique a été un échec cuisant pour de Gaulle qui a failli renoncer. C’est sans doute pour cela que ce revers a été largement occulté par la mémoire collective. Exactement quatre-vingts ans après les faits, la revue Historia m’a donné l’occasion d’en parler dans un article qui n’a rien de romancé. Tout en effet repose sur les témoignages nombreux laissés par les Français libres, les Français obéissant aux ordres de Vichy et par les Anglais. Autant de détails précis pour témoigner d’une bataille navale qui, paradoxe des paradoxes, constitue une sorte d’ultime victoire de la Royale sur la Royal Navy.

Éric Teyssier

Retrouvez La bataille de Dakar : le drame et l'espoir dans le numéro de septembre n°885 Les vrais pionniers de la médecine

 

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