La mort du comte de Chalais

La tête sur le billot, le condamné aura mille fois le temps de formuler sa dernière volonté : qu'on en finisse. Et vite !

Nantes, 19 août 1626, 18 heures. Une foule immense est massée sur la place du Bouffroy. Devant la porte du château royal, se dresse un échafaud. Henri de Talleyrand, comte de Chalais, condamné pour avoir projeté d'assassiner Louis XIII, s'apprête à gravir les marches. Enfin, il paraît entre deux rangées de soldats, accompagné d'un prêtre. Calmement, il monte à l'échafaud et ne marque une légère émotion que lorsque le bourreau lui coupe sa très belle moustache. Mais, foin de coquetterie, il n'espère plus qu'en la rapidité de son exécution. « Ne me fais pas languir », dit-il au bourreau qui lui bande les yeux, avant d'abattre son épée. Mais stupeur ! Chalais a toujours sa tête... Quatre nouveaux coups, et elle tient toujours, tandis que le supplicié souffle un ultime « Jésus Maria ». Le bourreau réinstalle Chalais sur le billot, puis s'empare d'une doloire (une hache de tonnelier) pour achever le travail. Soit 29 coups avant que la tête se détache du tronc ! Une boucherie, que la foule contemple, consternée.

Chalais enfin mort, son corps est ramené dans un carrosse au couvent des Cordeliers, où sa mère l'attend. Jusqu'au dernier instant, elle a espéré la grâce de Louis XIII, venu à Nantes pour le procès accompagné de Richelieu. Las ! Le roi a repoussé ses prières malgré les grands services de sa famille envers la Couronne.

Pour gagner du temps et donner à Sa Majesté celui de la réflexion, la famille et les amis de Chalais décidèrent que l'exécution n'aurait pas lieu... faute d'exécuteurs. Et c'est ainsi que le bourreau de Nantes et ses assesseurs, soudoyés et menacés, furent introuvables le jour prévu. Furieux, Louis XIII ordonna de recruter un bourreau parmi les criminels incarcérés au château. Un cordonnier tourangeau, Charles Davy, qui devait être pendu trois jours plus tard, accepta d'officier contre la remise de sa peine. On cherche une hache, en vain, et l'on se rabattit sur une épée mal affûtée. Encore faut-il des compétences pour s'en servir, ce qui n'était pas le cas de ce cordonnier qui, selon le récit fait à chaud par le Mercure françois, n'est pas « stylé au métier »...

Ainsi, à trop vouloir sauver Chalais d'une mort certaine - à laquelle d'ailleurs il s'était résigné et dont il souhaitait faire un exemple de l'art de mourir en gentilhomme -, ses proches le condamnèrent à un supplice terrifiant. En retour, l'inflexibilité du roi et de son ministre convainc tous ceux qui n'étaient pas persuadés de la culpabilité de Chalais de la nécessité de continuer la lutte contre la montée de l'absolutisme monarchique. Henri de Montmorency et Cinq-Mars paieront aussi de leur tête leur rêve d'une monarchie contrôlée par les Grands. Quant à Gaston d'Orléans, compromis dans plusieurs complots, il ne la conservera qu'en raison de son statut de frère du roi et d'héritier du trône. L'histoire ne dit pas ce qu'il advint du petit cordonnier dont l'épouvantable maladresse désespéra ceux qui aimaient Chalais et indigna ceux qui croyaient en la justice royale. Un double couac dont seule la victime sortit grandie... si l'on peut dire !

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