Quand un « enfant de salaud » enrichit le roman national
En 120 secondes par Guillaume Malaurie
Un roman national, ça ne devrait pas que claironner des victoires et célébrer des héros. Un roman national, ça devrait tout autant pouvoir dérouler le revers des drapeaux qui claquent. Un roman national, ça doit aussi dire les secrets de famille. C’est long à raconter un secret de famille. C’est hémorragique. C’est impudique. C’est comme exsuder du pus. C’est de l’émotion. D’abord des vérités à demi-mot, tronquées, biaisées, vérolées, boiteuses qui retournent les sangs. Révoquent une filiation. Hantent chacun des jours d’une vie d’adulte…
Le terrible roman de Sorj Chalandon, « Enfant de salaud »* est de ceux-là. C’est un roman immense et un chapitre vert de gris du roman national français. La vie de son père de 1940 à 1945 qu’il découvre peu à peu dans les archives judiciaires en 1987. Il comprend alors que ce grand bateleur de sagas où il semblait tenir les meilleurs rôles comme bras droit de Jean Moulin, est tout autre.
Le paternel a porté successivement l’uniforme français, puis allemand, puis FTP, puis américain et il s’avère qu’il est défroqué de toutes ces vocations opportunistes dont il a successivement déserté. Le tour de force, c’est que cette histoire de l’intime qui poursuit Sorj Chalandon depuis toujours réussisse à fusionner avec celle de la Grande Histoire.
En prenant connaissance du dossier judiciaire de son père condamné à l’indignité nationale après-guerre, Sorj Chalandon couvre en même temps le procès Barbie pour Libération. Son père est dans le public. Lui dans le box de la presse. Les deux récits s’enveniment l’un l’autre et ne font bientôt plus qu’un. Un roman chamboule tout. Un roman vrai. Un roman qui ne dénonce pas mais abolit les trompe-l’œil.
Une écriture délicate, sans haine, sans leçon. D’une extrême tendresse, y compris dans les moments où la vérité foudroie. Merci Sorj. C’est du grand. C’est notre Histoire à nous tous que tu as racontée. Celle dans laquelle aucun de nous ne peut jurer qu’il aurait eu forcément le beau rôle. C’est aussi ça l’Histoire nationale. Elle est fatale pour les Tartarins.
Guillaume Malaurie