Une carte gravée de l'âge du bronze, ou quand le désir d'étonner supplante la science

Pour écrire une histoire d’un passé lointain, un archéologue regroupe des documents qui s’ajustent et qui doivent correspondre à une logique. Ses arguments sont les constats de la réalité d’une époque sur laquelle des fouilles et des recherches l’ont plongé. Faire l’impasse de ce raisonnement revient à sombrer dans la fiction.

Le contexte

Le journal Le Monde du 7 avril 2021 a publié un article de Pierre Barthélémy intitulé « Une carte gravée bretonne à l’âge du Bronze (entre 1900 et 1650 avant notre ère) ». On lit en sous-titre : « Une dalle de 4 000 ans découverte en 1900 dans un tertre funéraire représentant des éléments de la géographie environnante ». La dalle exhumée se trouvait dans un tumulus de l’âge du bronze. À l’intérieur, un tombeau en forme de coffre en pierre « dont une étrange dalle gravée constitue une des parois sans que ce soit vraisemblablement sa destination première ». C’est un bloc de schiste de 2, 20 m de long, de 1,53 m de large et de 16 cm d’épaisseur, pesant 1,5 tonne. La dalle est gravée de « lignes droites, de courbes, de cercles, de motifs en pomme de terre, de poire et de multiples cupules ».

Des archéologues, cités dans l’article, voient dans ces dessins une représentation géographique du site, interprétée il y a quatre millénaires. Des géographes ont réalisé une superposition avec des cartes actuelles et un relevé en 3D qui leur apparaît comme une « évidence ». Ils font ainsi des rapprochements topographiques selon lesquels cette pierre gravée serait « la plus vieille représentation cartographique d’Europe ». La conclusion indique que dans la région « l’âge de bronze est très hiérarchisé et que les petits princes contrôlent la terre. La carte, dans un pouvoir politique, pourrait être un moyen d’affirmer leur autorité sur un territoire ».
 

Rappel de règles de base

Où se trouve la réalité de cette époque ? La supposition évoquée par les archéologues provient du fait d’avoir créé un contexte sur lequel ils ont fondé une vérité scientifique. Mais ce contexte relève de la fiction et la vérité scientifique s’effondre d’elle-même. Expliquons-nous.

Hormis pour des figures représentatives (armes, animaux, silhouettes humaines), il est hasardeux d’interpréter des lignes géométriques telles que des courbes, des droites sinueuses, des formes quadrangulaires ou circulaires, remontant à des époques si reculées. Avant l’écriture, l’expression par symbole était un langage de communication (hiéroglyphes) comprenant des signes souvent répétitifs. Comment en déduire que des formes géométriques, des quadrillages, puissent être associés à la propriété foncière et à des parcelles de terre ?

Une carte est la représentation graphique d’un lieu qui doit être vu et reconnu par un groupe d’humains localisés dans un périmètre donné qu’il fréquente. Le dessin permet de marquer des surfaces planes, des reliefs, des cours d’eau et de représenter un environnement en globalité. Quant à « évaluer un degré de correspondance entre ce document (la pierre) et les cartes actuelles », selon la géographe Julie Pierron, on entre dans l’irréalisme.

Une théorie invraisemblable

Si à l’échelle du temps géologique, les paysages n’ont pas évolué en quelques millénaires, la réalité physique est différente localement. L’érosion, l’assèchement, la déviation d’un cours d’eau, les activités humaines, modifient profondément un environnement. Rechercher de nos jours des correspondances entre ces lignes abstraites et la géographie actuelle est irréaliste.

Que représenteraient donc ces motifs ? Un morcellement de parcelles ? Dans ces réflexions, l’archéologue Clément Nicolas évalue le degré de correspondance entre ladite pierre et les cartes actuelles : « Coïncide-t-il vraiment avec les grandes lignes du relief et du réseau hydrographique de ce bout de Finistère ? On arrive à des degrés de similarité compris entre 65 et 80 %. C’est supérieur aux résultats qu’obtiennent les cartes mentales que les ethnologues recueillent auprès des peuples papous ou touaregs ».

Le terme « mental » se rapporte à l’esprit qui construit des images, des actions imaginaires ou permanentes. Si l’expression orale ou écrite peut faire entrer en jeu la mémoire, cette mémoire n'existe qu’en fonction de ce qui a été retenu initialement, puis transformé lors de transmissions de générations en générations. Une carte mentale ne peut donc être que le reflet d’un présent dont la représentation peut être aléatoire déjà à l’origine et à fortiori avec les siècles qui l’ont transmise. Comment établir alors sérieusement une analogie étalée sur des millénaires entre des populations actuelles (les Papous des forêts de Nouvelle-Guinée ou les Touaregs du Sahara) ? En outre, l’évocation de son environnement ancestral est propre à chaque latitude, si différentes entre les deux hémisphères.

C. Nicolas ajoute : « la carte est aussi pour un pouvoir politique un moyen d’affirmer son autorité sur un territoire ». Il s’agit là du pire péché de l’historien : l’anachronisme. Si une carte se transmet grâce à son support léger, une pierre reste à sa place. Par voie de conséquence, son statut de cartographie cadastrale ne pourrait jouer que pour ceux qui la verraient. Autant dire peu de monde, les quelques habitants du village. Reportons-nous aux usages encore en vigueur en Afrique noire où le cadastre peine encore à s’imposer et où le chef du village est souvent le seul habilité à valider une propriété selon les dires des habitants et des anciens.

Cette carte dite géographique de l’âge du bronze ne correspond donc à aucune logique objective et les affirmations de ces archéologues ne sont pas des hypothèses mais de la simple fiction qui séduit l’intellect et l’imagination mais qui ne sert pas la vérité scientifique.

 

Henri GEIST

Chevalier des Arts et lettres. Président honoraire du Cercle d’histoire et d’archéologie des Alpes Maritimes. Interface de la DRAC PACA archéologie pour les Alpes Maritimes. Auteur de multiples ouvrages d’archéologie locale.

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