Shoah
Vous avez été nombreux à réagir à notre dossier Shoah. Ceux qui savaient, ceux qui pouvaient, ceux qui taisaient (mensuel n° 902 daté février 2022). Voici quelques unes des réactions des lecteurs à ce numéro.
► Georges Elkhoury
Shoah : regarder la vérité en face
Je souhaite vous féliciter pour l'énorme recherche et travail qui a été accompli dans votre numéro sur la Shoah, afin que les peuples regardent la vérité en face. À quand un numéro similaire mais sur le drame palestinien, et qui éclaire encore plus sur la relation entre ces deux drames humains et la responsabilité de « Washington, Moscou, Paris, Londres » ? Bonne continuation dans votre recherche de la vérité historique.
Shoah : Ceux qui savaient ou taisaient dans les journaux
J’ai beaucoup apprécié votre revue n°902 de février 2022 consacré à la Shoah ; Ceux qui savaient ; Ceux qui pouvaient ; Ceux qui taisaient, car elle comporte plusieurs documents inédits ou qui étaient peu connus jusqu’alors. J’ai cependant été déçu que vous n’ayez pas expliqué, même brièvement, pourquoi la presse libre de l’époque avait été discrète sur les camps de concentration et extrêmement silencieuse sur les camps d’extermination (avec leurs chambres à gaz) à partir de 1942, début de la Shoah. L’absence de cette distinction vous a visiblement privé de nombreux documents qui, dès 1938, avaient mentionné l’existence des camps de concentration, parfois accompagnés de croquis très précis. L’explication de ce silence est pourtant connue depuis longtemps, comme l’explique le journaliste Daniel Schneidermann dans son livre Berlin, 1933 : la presse internationale face à Hitler (Seuil, 2018), l’existence des camps de concentration était connue dès 1933 mais comme la plupart des déportés étaient communistes ou juifs, les journalistes se sont complètement désintéressés de ce sujet à cause de l’anticommunisme viscéral de leurs employeurs et de l’antisémitisme ambiant. Par exemple, dans les jours qui suivent l’incendie du Reichstag le 27 février 1933, dès le 12 mars L’Humanité est le seul journal français à faire mention de l’ampleur de la répression immédiate qui frappe les communistes allemands (5 000 déportations), puis le 30 mars, la folie antisémite du régime nazi. C’est le seul journal (le 7 juin) à appeler par son nom « la barbarie hitlérienne ». Concernant les persécutions massives des juifs, les quelques sources juives qui les mentionnent sont assimilées à de la propagande sioniste, de plus, ces informations sidérantes paraissent totalement incroyables, même pour les juifs en dehors de l’Allemagne.
Il est toujours étonnant de constater que malgré de nombreuses recherches historiques sur les camps de concentration la plupart des journalistes continuent d’entretenir le mythe de leur ignorance. Par exemple, l’article de Dominique Drouin : L'information en France sur les camps de concentration allemands entre 1933 et 1940 (extrait de la revue Recherches contemporaines, n°1, 1993) précise que, dès 1933, les autorités nazies officialisèrent l'existence de tels camps. Par exemple, le journal Le Temps du 22 mars 1933 relate l'annonce officielle par Himmler lors d'une conférence de la création du camp de Dachau pour 5000 personnes en précisant que d’autres seront installés. D’autres journaux mettent l'accent sur les violences subies par les internés conduisant parfois à la mort : Les Dernières nouvelles d'Alsace, 18 juin 1933 ; Le Temps, 24 juin 1933 ; Paris-Soir, 22 septembre 1933 ; Le Petit Parisien, 2 décembre 1933. La mise en place des premiers camps de concentration ne s'est donc pas opérée secrètement et, jusqu'en juin 1934, contrairement à une idée reçue, l'Allemagne hitlérienne ne cache pas leur existence. Bien au contraire, pour montrer que l'Allemagne nouvelle pouvait forger grâce à ces camps des hommes neufs, une certaine publicité entoura même leur officialisation. En décembre 1933, Gerhart Seger, un député social-démocrate, s'évade du camp d'Oranienburg et publie quelques mois plus tard un livre, traduit immédiatement en français. La nature exacte des camps n'a jamais été ignorée ; c'est ainsi que l'existence de Buchenwald est pratiquement connue dès son ouverture. Le 26 février 1938, Nouvelles d'Allemagne annonce « Dans le camp de Buchenwald, près de Weimar, installé depuis l'automne 1937, plus de 2000 détenus se trouvaient déjà vers la fin de 1937 venus pour la plus grande partie des camps de Sachsenburg, d'Oranienburg et de Sachsenhausen ». Cette première allusion est suivie quelques mois plus tard du témoignage d'un ancien détenu de Buchenwald (Nouvelles d'Allemagne, n°307, 26 février 1938 et n° du 6 octobre 1938). L'Univers israélite du 18 novembre 1938 écrit (p. 124) qu’un nouveau convoi de 1 000 jeunes juifs a quitté Vienne pour les camps de concentration de Mauschausen [Mauthausen] et Buchenwald. Le journal Ce soir du vendredi 11 novembre 1938 (p. 3) précise que les juifs sont maltraités et envoyés dans les camps de concentration.
Vous avez fort justement expliqué que les quelques témoignages officiels sur les camps d’extermination et des chambres à gaz (rapport Karski, télégramme Riegner, télégramme Silverman, brochure du gouvernement polonais aux gouvernements des Nations unies, etc.) ont été extrêmement peu relayés par la presse de l’époque (Seattle Times du 1er juin 1942, Daily Telegraph des 25 et 30 juin 1942, New York Times des 27 juin et 2 juillet 1942). Cependant, malgré la faible diffusion de ces informations, ceux qui écoutaient la BBC étaient informés de l’existence des chambres à gaz comme le montre le Journal d’Anne Frank du 9 octobre 1942. Il est évident que puisque les principales victimes des camps de concentration ou d’extermination étaient des communistes et des juifs, la presse occidentale a très peu relayé ces informations à cause d’un anticommunisme viscéral, d’un antisémitisme largement partagé et surtout d’une connivence (toujours d’actualité) avec les dirigeants politiques.
Si les témoignages communistes et juifs sur les camps de concentration ont largement été ignorés par les historiens, toutefois, les témoignages qui ont été le plus censurés (et continuent à l’être en France) sont ceux des 25 000 Témoins de Jéhovah allemands, appelé Bibelforscher (distingués par un triangle violet), dont 10 000 furent incarcérés dès 1933 pour une période plus ou moins longue. Ils furent donc les premiers à inaugurer les camps de concentration de Moringen, d’Oranienburg, d’Esterwegen et de Sachsenhausen, car l'élimination des sectes fut un préliminaire pour les nazis, comme le confirme Geneviève de Gaulle Anthonioz dans son opuscule : La traversée de la nuit (1998, Seuil, p. 20). Très peu d’historiens, y compris ceux qui ont été consultés par Historia, savent que les Témoins de Jéhovah allemands furent les premiers à révéler l’existence des camps de concentration. Le livre : Persécution et résistance des Témoins de Jéhovah pendant le régime nazi 1933-1945 (Schortgen, 2005) contient 26 études, rédigées par des historiens ou universitaires, qui donnent les renseignements suivants : le 12 décembre 1936, les Témoins de Jéhovah (Bibelforscher) ont distribué dans différentes villes du Reich une protestation imprimée en 100 000 exemplaires pour dénoncer la persécution des Bibelforscher dans le Reich allemand. Le 20 juin 1937, un dépliant « Lettre ouverte – au peuple allemand qui croit en la Bible et qui aime le Christ » est imprimé et distribué dans tout le Reich. Le 15 février 1938 paraît à Berne l’article d’Arthur Winkler (en allemand) « Dans le camp de concentration Esterwegen » dans la revue Trost qui révèle (p. 12 et suivantes) l’existence de 20 camps de concentration dans la région de Papenburg comptant chacun 1 000 prisonniers environ. Winkler donne même un croquis très précis du camp de concentration d’Esterwegen. Cet article fut publié dans la revue Consolation n°68 du 10 août 1938 à Berne. Ces informations transmises de l’Allemagne en Suisse furent collectées et rédigées par Franz Zürcher qui les fit publier par les éditions Europa-Verlag le 21 mai 1938 à Zürich sous la forme d’un livre intitulé Kreuzzug gegen das Christentum. Ce livre a été édité en français en 1939 sous le titre Croisade contre le christianisme.
Bien que ces dépliants et ces livres aient été distribués à des dizaines de milliers d’exemplaires, ils n’ont pas été cités par les journaux de l’époque sauf à quelques très rares exceptions. Par exemple, Guy Canonici rapporte dans son livre Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, préfacé par François Bédarida (1998, Albin Michel, p. 89), qu’un jugement du tribunal spécial de Weimar en 1936 expliquait que l'interdiction des Témoins de Jéhovah « n'est pas une infraction à la jurisprudence en vigueur dans le Reich [...] La liberté religieuse et la liberté de conscience ne sont absolument pas mises en cause [...] L'État ne poursuit personne pour ses croyances ou parce qu'il lit la Bible [...] Ils (les Témoins de Jéhovah) ne sont pas une société religieuse ». Dans L'Humanité du 20 mai 1937 page 3, colonne 7, on pouvait lire que « Le fait d'avoir appartenu à la secte des Observateurs de la Bible, d'après un jugement du tribunal administratif de Saxe, est un motif de congédiement pour les employés ».
Si vous avez fort justement réhabilité, dans ce numéro n°902 d’Historia, les quelques témoignages héroïques sur les camps de concentration provenant de communistes ou de juifs, vous avez complètement occulté ceux provenant des Bibelforscher (Témoins de Jéhovah allemands) qui restent les éternels oubliés (en France) comme l’a rappelé l’historienne américaine Sybil Milton dans ses articles : Les Témoins de Jéhovah, victimes oubliées et Les Témoins de Jéhovah dans la documentation historique. Comme j’apprécie beaucoup votre revue pour la qualité de ses informations historiques, je me suis permis de partager mes propres connaissances d’historien (« des mondes anciens ») sur ce sujet passionnant.
► Jean Creutzmayer
Shoah : ceux qui savaient ou non en France ; j’avais dix ans.
J’ai attendu le n°902 avec impatience et appréhension ; tellement l’évocation de ce drame est et sera encore longtemps l’objet d’âpres controverses et à sa réception, grande était mon émotion. Et je n’ai pas été trompé…Tous nazis ? Faut-il pour autant culpabiliser nos parents ? Ou nous, leurs descendants…
À l’époque, j’avais 10 ans. Nous habitions Colmar, mes parents géraient la succursale d’alimentation d’un consortium, basé à Leipzig, appelé : Gemeinschaftswerk-Versorgungsring. Les clients de ce magasin, tous Allemands, étaient de genres très différents : il y avait les Allemands d’occupation, de l’administration de l’annexion, donc d’origine ; des Allemands des régions voisines et des mischling, donc des Allemands de souche des régions voisines, et finalement des « Allemands d’obligation », Alsaciens et Lorrains des régions annexées et abandonnées par lâcheté. Et c’est là, que je tiens à dénoncer le risque d’amalgame, tacite et peut-être même volontaire qu’on fait en leur posant, à eux aussi, la triple question : qui savait ? qui pouvait ? qui taisait ?
Il est probable que le peuple de la campagne ne savait pas, coupé des grands centres, loin des informations, encadré par toute une surveillance active, se méfiant de tous, voisins voire membres de leur famille, et tous occupés à leur besogne pour subsister. Partout, c’était la loi du silence : pas de questions, pas de réponses. Les citadins, dans une grande proportion savaient : surtout ceux qui osaient écouter les radios libres, « d’r Engländer », sur les rares postes de TSF, qui n’avaient pas été réquisitionnés, ou sur leur poste à galène, comme mon père, à leurs risques et périls et seulement quand il y avait du courant électrique ! Il faut savoir que ce courant était coupé de 20h à 6h du matin ! Ils savaient par les rapides informations de bouche à oreille, d’un commerçant à l’autre, car se réunir en groupe était interdit. Les Schupos patrouillaient et se postaient aux endroits stratégiques, et dans les quartiers, les immeubles même, jusqu’aux portes des appartements, les Blockleiter étaient à l’écoute. À la une des journaux, aux vitrines des commerces, à tous les panneaux publicitaires, il y avait l’image d’un petit bonhomme noir, avec la mention ambivalente : « Feind hört mit » (l’ennemi écoute), ce qui avait le don de mettre en garde la population de ne pas parler de ce drame. Faire voir qu’on savait, menait tout droit au Struthof, camp de redressement en Alsace. De peur que nous, enfants, en parlions pour l’avoir entendu chez soi, on nous éloignait des conversations. Ce qui fait qu’en fin de compte, les annexés avaient tout intérêt à se taire !
Parmi les « annexés », y en avait-il qui pouvaient ? J’en doute fort : les braves fonctionnaires, élus, ou responsables, avaient fui à temps, les autres « unzuverlässig » (peu fiables) ont été dirigés dans des centres de redressement, en Allemagne, pour leur imprimer les « bonnes opinions », ou ont été remplacés par leurs gens à eux ! Les auteurs des reportages, me semble-t-il, ont une information assez lacunaire de l’ambiance quotidienne, dans laquelle vivaient les « Alsaciens-Lorrains » pendant cette période. Restés en 1939-1940, sur place, pour diverses raisons, on le leur a reproché à la Libération, notamment les « bons Français » revenus en 1945 sur les talons des libérateurs ! À mon sens, dans le reportage sur ce drame, il aurait fallu, dès le départ, sérier et expliquer la situation des annexés par rapport à ce drame. Car les intégrer, même inconsciemment, dans l’ensemble « allemand », objet des reportages, risquait d’en faire un amalgame, faux, tendancieux et malhonnête. Avoir vécu, même à mon âge, ces situations et y avoir été confronté, m’a mis en garde contre des interprétations toutes faites, car devant être relatées dans un cadre officiel ! Hélas. Le nombre d’annexés, pouvant encore témoigner tend vers zéro ! Après, ce sera la raison du plus fort qui servira de jauge déterminante pour la vérité !
► Sylvain Delaoire
L’US Air Force à géométrie variable
Merci de rappeler à vos contributeurs (dans ce numéro, Willy Coutin) que l'U.S. Air Force n'existait pas pendant la Seconde Guerre Mondiale, puisqu'elle a été créée le 18 septembre 1947 ; c'est la seconde fois en quelques mois que cet anachronisme passe dans les pages d'Historia)
Notre réponse . C’est vrai formellement mais c’est un peu plus compliqué. C’est dès 1917 qu’un « Air Service » intégré à American Expeditionary Force (AEF) voit le jour. En 1920, l’Air Service devient United States Army Air Corps (USAAC). L’autonomie de l'Army Air Corps est acquise en 1921. Quand le célèbre Major Général Spaatz organise les bombardements stratégiques à partir de 1942, il est nommé commandant des nouvelles Forces aériennes stratégiques :US Strategic Air Forces. La création de l’US Air Force vient acter en 1947 cette évolution.