
L'arsenic à toutes les sauces
En complément du Spécial n°51 d'Historia consacré aux grandes affaires de poison, le professeur Ivan Ricordel, directeur honoraire du Laboratoire de Toxicologie de la Préfecture de Police de Paris, nous éclaire sur les effets de l’arsenic dans cet entretien réalisé par Matthieu Frachon.
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Le poison star de l’histoire criminelle du XVIIIème jusqu’au XXème siècle a deux visages. Si l’assassin est pressé, il a recours à une dose massive, comme l’explique notre expert : « C’est la forme aigüe qui correspond par exemple à l’ingestion de 100 à 300 mg d’anhydride arsénieux, la mort aux rats. C’était difficile à diagnostiquer, on pouvait croire au choléra, à une infection intestinale aiguë, à l’appendicite aiguë ou péritonite, à la fièvre typhoïde. L’arsenic provoque des brûlures âcres de la bouche, de l’œsophage et des douleurs épigastriques violentes (dues à la causticité du poison), une soif intense due aux vomissements, des diarrhées. » Violent et efficace, l’arsenic est une arme fatale : « En effet, la victime se déshydrate progressivement. Elle a des sueurs froides, sa peau se glace et se cyanose. Elle tombe en syncope, ses reins et son foie sont profondément altérés et elle meurt en 5 à 20 heures par collapsus cardiaque. »
La méthode de l’intoxication chronique est plus sournoise
En matière criminelle, ce type de décès conduisait souvent à une enquête plus poussée, la recherche toxicologique avait évoluée et les effets de l’arsenic étaient connus. « Il y a la méthode de l’intoxication chronique encore plus sournoise. Il s’agit d’administrer l’arsenic par petites doses répétées sur de longues périodes, allant jusqu’à plusieurs mois. Les signes sont non spécifiques : intolérance gastrique, diarrhées après des périodes de constipation opiniâtre, symptômes apparents d’un rhume de cerveau. La peau se couvre de taches bronzées ou dépigmentées irrégulières s’étalant en placards gris ardoisé, café au lait ou à reflet métallique au niveau de la face, du cou, des épaules, aux plis de flexion, à la ceinture (mélanodermie). Au niveau des mains et des pieds, la peau s’épaissit (kératodermie palmoplantaire) et desquame, apparition de verrues dures et blanchâtres (pigeonneaux). Enfin les cheveux et poils deviennent très fins et tombent (pellagre arsenicale).
La victime meurt « d’une longue maladie »
Le phénomène toxique le plus fréquent et le plus dangereux est une polynévrite sensitivomotrice et douloureuse des extrémités, semblable à celle de l’alcoolisme. Elle touche les membres inférieurs puis monte progressivement (gros orteils, extenseurs communs des doigts de pied puis des jambes entrainant une démarche hésitante et steppante (le patient mobilise la jambe par le biais de la cuisse qu’il lance latéralement). » En quelques mois, le criminel patient aura raison de sa victime, son décès sera qualifié résultant « d’une longue maladie ».
Propos recueillis par Matthieu Frachon