L'ÈRE DU SOUPÇON
La politique est née en 1789 et, avec elle, le soupçon. Ce soupçon-là n'est pas né d'un théorème, de la raison ou d'un quelconque impératif catégorique. Il est habité d'imaginaires, de fantasmes, de jalousie ou de peur, de rivalités et de défis. Il est à l'inquiétude ce que le monstre invisible est aux eaux du loch Ness. Le remplacement de l'hérédité monarchique par l'élection, le passage d'une société d'ordres, de communautés et de corporations à une société égalitaire et atomisée, faite d'individus isolés à qui l'on a donné la liberté en échange d'une délégation de pouvoir, a sans doute créé les conditions de son épanouissement. La souveraineté n'est pas partageuse, surtout lorsqu'un peuple tout entier l'exerce. Cela occasionne forcément des rancunes, des frustrations, des laissés-pour-compte. Tocqueville a tout dit de ces faiblesses-là. La tyrannie épargnait l'âme et frappait le corps. En démocratie, le fait majoritaire laisse le corps vide et va droit à l'âme.