Un survivant raconte la libération de Dachau par Nerin E. Gun

Tandis que s’effondre l’empire nazi, une immense espérance se lève dans les camps de déportés. Ils sont encore des milliers dans ces univers concentrationnaires de la mort. Les S.S. essaient de les soustraire à l’avance des Alliés, mais ils ne peuvent transférer tous ces malheureux. En 1970, Nerin E. Gun, à qui l’on doit « les Roses rouges de Dallas », « l’Amour maudit d’Hitler et d’Eva Braun », a écrit pour nos lecteurs ce récit de la délivrance du camp de Dachau où il fut lui-même déporté.

Dans la nuit du 28 au 29 avril 1945, un Juif, à bout de forces, frappait lourdement à la porte du camp et criait au S.S. de garde ces paroles incroyables :

— Je ne connais plus personne en Allemagne. Dehors, c’est le pandémonium général. Ouvrez-moi, je préfère rentrer !

Il faisait partie d’un convoi qui avait quitté Dachau par le train, trois jours plus tôt. La locomotive avait été bombardée et les S.S. de l’escorte avaient pris la fuite. Un des prisonniers, un curé, se cacha chez un paysan. D’autres arrêtèrent un camion et y firent monter les blessés. Les autres continuèrent à pied. Ils pillèrent des fermes et troussèrent les filles. Ils s’offrirent même le luxe d’un bain dans les eaux torrentueuses et glacées de l’Amper. Cette imprudence coûta la vie à trois évadés. Quant à notre Juif, n’arrivant à frayer avec personne, il se perdit. Terrorisé par les civils qui l’insultaient en lui jetant des pierres, il préféra retourner au camp. Pour lui, la prison était le seul « chez soi ».

Un survivant raconte la libération de Dachau. Pas d’évacuation massive

Précédée par un vent de panique, l’approche de l’armée victorieuse allait engendrer des troubles meurtriers. Le matin même, le dernier commando de travail était sorti du camp pour gagner les chantiers de la ville. Il était composé d’Allemands et d’Autrichiens, des durs, dont plusieurs anciens membres des brigades internationales de la guerre d’Espagne. La route qui menait du « lager » à Dachau était encombrée de cadavres. Il s’agissait des évacués de convois précédents, morts d’épuisement, de typhus, ou abattus à bout portant par les S.S. affolés. Les forçats de ce « commando », qui n’ignoraient pas que les autorités du camp préparaient leur évacuation dans des convois du même genre, préférèrent ne pas attendre l’arrivée des Américains pour recouvrer leur liberté. Soudoyant leurs gardiens avec des promesses d’impunité, ils réussirent même à obtenir des armes.

Otto Jendran, un des vétérans de la guerre d’Espagne, prit le commandement de cette troupe et obligea des Volkssturm[1] de passage à lui prêter main-forte. Il s’empara de l’hôtel de ville d’où il envoya un émissaire pour informer les Américains de sa situation. Mais déjà, les S.S. d’Allach accouraient pour réprimer la rébellion. Après cinq heures d’une bataille inégale, les insurgés, qui avaient perdu la moitié des leurs, furent réduits à s’enfuir dans les champs ; mais la plupart d’entre eux retombèrent aux mains des Allemands. Malgré cet échec, l’initiative du groupe d’Otto Jendran favorisa les prisonniers de Dachau. Le commandant du camp, impressionné par cette mutinerie, renonça à ses projets d’évacuation massive. Les Américains[2] étaient parfaitement au courant de la situation. Leurs avions de reconnaissance survolaient continuellement le camp, guettant les moindres mouvements de l’ennemi. Ils avaient même appris qu’un détachement S.S. venait de quitter ses cantonnements de Munich pour remonter la fatidique Dachaustrasse et défendre le camp. Nous entendions du « lager » l’artillerie américaine qui tentait d’enrayer leur progression.

Il n’était alors question, dans le monde entier, que de la libération de Buchenwald par les troupes britanniques – qui n’avaient retrouvé qu’un amas de ruines… Aussi était-il capital pour les Américains d’éviter un sort analogue. Ils bénéficiaient de la désorganisation totale des Allemands. L’ancien commandant de Dachau, Weiss, devenu inspecteur général des camps, prit le contrepied des directives de Berlin. Il fit téléphoner aux Américains que Dachau leur serait remis intact. La pagaille était telle et l’avance américaine avait été si rapide, que les liaisons n’étaient même pas interrompues.

La Croix-Rouge devait servir d’intermédiaire pour cette reddition. Mais l’état-major S.S. n’attendit pas ce moment ; il déserta Dachau au cours de la nuit en laissant le commandement à un jeune officier rescapé du front russe. Il s’agissait du lieutenant Heinrich Skodzensky, arrivé deux jours auparavant au camp de Dachau où il venait passer sa convalescence.

Skodzensky se choisit au magasin un uniforme S.S flambant neuf. Sa tenue gris-noir faisait magnifiquement ressortir ses décorations, et il pouvait se sentir fier d’être aussi élégant. Les Américains devaient respecter les vrais combattants, et il en était un. Il ne risquait donc rien. Tout à ses préparatifs et à ses constructions abstraites, il n’eut pas l’occasion de pénétrer dans l’enceinte du K.Z. Il ordonna de hisser le drapeau blanc et attendit toute la journée l’arrivée des vainqueurs. Le « Jourhaus » était l’entrée principale du camp. Ce nom datait de l’époque napoléonienne. L’armée prussienne l’avait emprunté au langage des grognards. Combien de forçats, depuis 1933, avaient franchi ces portes de l’enfer ! La grille qui ornait l’entrée était fameuse : elle était en fer forgé, œuvre d’un déporté autrichien, et portait l’inscription : Le travail c’est la liberté. De l’esplanade du château de Dachauville, on avait aperçu les premiers tanks américains. Le tocsin sonnait à toute volée. À l’intérieur même du camp, un prisonnier surexcité avait mis en marche la sirène d’alarme. Patrick O’Leary convoqua son Comité dans le bloc le plus proche du « Jourhaus ». Une grande partie des soldats s’était enfuie, mais il restait plusieurs centaines de S.S., et les mitrailleuses des miradors étaient toujours pointées sur les baraquements. Le Comité siégeait en permanence et multipliait les appels au calme. D’instant en instant, il recevait les observations des vigies qui se relayaient sur les toits. Les Américains progressaient avec une célérité exceptionnelle. Ils en oubliaient toute règle de guerre, allant jusqu’à charger les canons sur des camions pris à l’ennemi, et à se servir de tracteurs, de bicyclettes, de chariots, de tout ce qui pouvait rouler. Le 2bataillon du 222régiment traversait rapidement la ville, tandis que la 45division, avec son intrépide 1er bataillon, se heurtait à une vive résistance dans les campagnes de l’Est. Les S.S. s’y étaient massés, préférant combattre devant le « lager » plutôt que dans la partie occidentale où se trouvaient leurs maisons et leur famille. Le Comité se demandait alors s’il devait ordonner l’assaut des miradors et tenter de rejoindre les Américains.

Un survivant raconte la libération de Dachau. Le premier char

Depuis l’aube, deux hommes attendaient, nus, devant la fatidique grille du « Jourhaus ». Il s’agissait de Mandzourian, nommé par les S.S. « chef administratif » du camp, et de Wernicke, un tzigane, son collègue de la police [interne. L’un et l’autre s’étaient comportés avec une barbarie atroce envers leurs camarades, prisonniers comme eux. Ils avaient voulu fuir avec les S.S. mais ceux-ci s’étaient complètement désintéressés de leur sort. Au dernier moment, le Comité, voulant empêcher leur évasion, les avait dépouillés de leurs vêtements. S’ils étaient restés à l’intérieur du camp ils auraient été impitoyablement lynchés. Aussi ne pouvaient-ils faire autre chose que de rester nus et stupides de frayeur devant la porte.

Enfin apparurent les premières jeeps américaines. Un G.I. en descendit et ouvrit la grille. À ce moment, des coups de feu partirent du mirador central, qui arborait un drapeau blanc. Les jeeps firent rapidement demi-tour et un char blindé s’avança. En quelques rafales, il réduisit au silence les mitraillettes du mirador. Le corps d’un S.S. culbuta et s’écrasa lourdement sur l’asphalte de la petite place. Les Américains étaient les maîtres du lieu. Patrick O’Leary s’était agenouillé devant le rebord d’une fenêtre afin de s’abriter des balles. Il devait se souvenir longtemps de la scène qui allait suivre, et dont il me fit ce récit :

— Un major descendit du char. Je courus vers lui et nous nous embrassâmes. Son uniforme était poussiéreux. Sa chemise ouverte laissait voir sa poitrine jusqu’à son nombril. Il était sale, trempé de sueur, son casque de travers, pas rasé ; un mégot lui pendait au coin de la lèvre.

C’est alors que le jeune lieutenant Skodzensky sortit du poste et se présenta au garde-à-vous devant l’officier américain. C’était un beau blond raffiné, aux bottes bien luisantes, à l’uniforme impeccable et boutonné très haut. Il se présentait comme lors d’une parade au Champ-de-Mars, près d’« Unter den Linden ». Il salua posément, fit claquer ses talons, et annonça enfin :

— Je vous remets le camp de concentration de Dachau. Il compte actuellement 33 000 résidents, 2 430 malades, 27 000 à l’extérieur et 560 soldats de garnison.

Je me croyais transporté dans une opérette. J’avais devant moi le contraste saisissant de la bête et d’un dieu. Et c’était, paradoxalement, le représentant de mes ennemis qui avait l’apparence divine. Le major américain ne répondit pas au salut. Il hésita un moment, semblant chercher ses mots, et finalement cracha à la figure du bel officier :

— Du, Schweinehund !

Puis, lui désignant l’arrière d’une jeep qui venait de franchir la grille, il lui jeta sur un ton méprisant :

— Sit down there !

Des G.I.s. avaient déjà entouré le poste de garde tandis que d’autres encadraient le major. (Il y avait parmi eux le caporal Jeremiah Mac Kenneth, promu sergent depuis peu.) Patrick O’Leary poursuit son récit :
Le major se tourna vers moi en me tendant une mitraillette :

 Come with me.

Mais je n’avais plus la force de bouger, tant j’étais déconcerté par son attitude.

— No, I stay here, lui répondis-je.

Il donna alors un ordre et la jeep, avec le jeune officier nazi, sortit du camp. Quelques minutes s’écoulèrent. Mes camarades n’avaient pas encore osé quitter leur baraquement, car d’où ils étaient ils ne pouvaient pas deviner l’issue des pourparlers entre l’Américain et Skodzensky. Puis j’entendis le crépitement d’une salve et le major s’écria :

— The bastard is dead ! (Le salaud est mort.)

Des signaux furent transmis sur ses ordres aux radios de bord des jeeps, et bientôt apparurent d’autres officiers, des journalistes et des camions transportant les troupes. « Alors, les prisonniers comprirent. Ils sortirent en se bousculant et se jetèrent littéralement sur les Américains pour les embrasser, baisant leurs mains et leurs pieds dans un délire de joie.» Le lieutenant-colonel Will Cowling, qui était parmi les premiers libérateurs, manqua de peu d’être étouffé par cette masse déchaînée. Les G.I.s durent tirer en l’air afin de le dégager. Les prisonniers voulaient son autographe ! »

Un survivant raconte la libération de Dachau. « Nous savons pourquoi nous combattons »

Le groupe aux ordres du major américain n’était pas venu directement au « Jourhaus ». Il avait fait un crochet par la gare de triage, par laquelle arrivaient et repartaient les convois, de déportés. Les voies y étaient encombrées d’une cinquantaine de wagons à bestiaux. Ces wagons n’était pas vides….

— Au premier coup d’œil, nous raconta le colonel Cowling, on aurait cru qu’ils étaient pleins de chiffons ou de vêtements hors d’usage… Puis on découvrit des mains, des jambes, des visages qui n’avaient rien d’humain…

Le train, qui venait de Birkenau, ne contenait que des cadavres, 2 310 exactement, empilés les uns sur les autres. Il s’agissait de juifs hongrois et polonais de tous âges. Le voyage avait dû durer trente ou quarante jours. Ils étaient morts de fatigue et de faim, ou abattus par les gardes. Des traces de cannibalisme étaient nettement visibles. Presque tous étaient déjà morts en arrivant à Dachau. Les S.S. ne s’étaient même pas donné la peine de faire décharger cette cargaison humaine. Ils s’étaient contentés d’abattre à la mitraillette ceux qui avaient encore trouvé la force de sortir des wagons. On voyait ainsi des cadavres sur les rails, sur les marchepieds, et partout sur les quais de la gare. Il devait quand même y avoir un survivant. Rongé de vermine, il avait fini par attirer l’attention des soldats en rampant laborieusement parmi les cadavres.

Ce fut le premier contact des Américains avec Dachau ; il permet de mieux comprendre le comportement du major vis-à-vis de Skodzensky et de Patrick O’Leary. Les hommes de la 45division avaient opéré leur liaison avec la 42précisément dans cette gare. Eux aussi en eurent le souffle coupé.

— Cela dépassait l’imagination, devait dire le lieutenant Harold Mayer. Chacun de mes hommes devint fou furieux. Nous prîmes la direction de l’est, contournant le compound des S.S. sans même prendre la précaution de reconnaître le terrain. Nous avions hâte de venger ces hommes morts de façon si atroce.

— À partir de ce moment, je sus pourquoi nous combattions, s’écria le caporal Eagel, notre « Chef Aigle-Glorieux ». Nous considérions nos ennemis comme des bêtes féroces que nous devions abattre impitoyablement.

Tout n’était pas inerte et mort dans cette gare. Il y avait, au contraire, un ahurissant fourmillement de paysans et de citadins allemands. Les habitants de toute la région de Dachau étaient en train d’y piller le dépôt. Les enfants jouaient près des cadavres, tandis que leurs parents accumulaient leur butin sur des charrettes ou des bicyclettes. Ils semblaient parfaitement insoucieux de tous ces morts et de la puanteur qui alourdissait l’air devenu presque irrespirable. L’indignation et la colère des hommes du 1er bataillon du 157régiment n’avaient cessé de croître au fur et à mesure qu’ils s’étaient rapprochés du « lager ». Car la route était, comme je l’ai dit plus haut, encombrée de cadavres. Il y en avait partout, dans les fossés, le long des ruelles, et surtout dans le jardin qui était devant cet avenant petit chalet qui servait de nid aux colombes… Ils comprirent alors qu’il s’agissait du four crématoire. Enfin, ils atteignirent le camp ; des milliers d’êtres en haillons, réduits à un état squelettique, les attendaient en hurlant de l’autre côté des peupliers.

Un survivant raconte la libération de Dachau. Pas de pitié !

Lorsque les S.S. du mirador s’étaient mis à tirer dans la foule des prisonniers, les Américains, oubliant toute prudence, avaient ouvert un feu nourri sur les tourelles. Les S.S. épargnés descendirent les échelles et levèrent les bras au ciel. Mais les G.I.s ne se contrôlaient plus. Ils fauchèrent les Allemands d’une rafale et tirèrent à nouveau sur les cadavres. Puis ils firent une chasse sans merci à tous les S.S. du camp. Un quart d’heure plus tard, il n’en restait plus un seul en vie.

Au réfectoire des S.S., un soldat fut tué alors qu’il mangeait un plat de haricots. Il s’écroula en tenant sa cuillère pleine à la main. À la centrale téléphonique, le factionnaire de service tomba les bras en avant sur sa table d’écoute ; le sang coulait sur l’écouteur et l’on entendait toujours le signal « occupé » de la centrale de Munich. Au poste d’énergie électrique, le surveillant avait été assommé à coups de pelle par deux prisonniers. C’est ainsi qu’ils avaient pu couper le courant à haute tension qui alimentait l’enceinte de fil barbelé. Lorsqu’il n’y eut plus de S.S. à abattre, ils tuèrent à la mitraillette tous les chiens-loups qui étaient enfermés dans le grand chenil du camp. Un chien policier n’ayant été que blessé hurlait désespérément. Il fut sauvagement achevé à coups de couteau.

Puis ce fut la ruée de fraternisation. Assaillis, étouffés, emportés par les prisonniers, les Américains, quelles que fussent leur émotion et leur pitié, ne pouvaient s’empêcher d’éprouver un certain dégoût devant ces espèces de démons, livides, crasseux, tondus, presque édentés. Ces hommes, qui n’étaient plus que des loques, les embrassaient, essayaient de leur raconter leur histoire par des signes, leur prenaient la main pour leur montrer les taudis où ils vivaient, les morts devant les baraques, les mourants à l’hôpital pour lesquels on ne pouvait plus rien. Les Américains leur donnaient des cigarettes, leur ration de chewing-gum ; ils vidaient pour eux leurs poches et leur laissaient parfois leur gilet.

Un survivant raconte la libération de Dachau. Les seuls responsables sont les bourreaux

Pendant ce temps, au « Jourhaus », Patrick O’Leary s’entretenait avec le colonel américain. Ce dernier devait continuer sa route vers Munich. Il laisserait un peloton aux ordres d’O’Leary, mais il exigeait que personne ne sorte du camp. Comme O’Leary réclamait des vivres, le colonel lui expliqua qu’il n’avait rien avec lui, qu’il allait avertir ses supérieurs, mais que, en attendant, il lui laissait carte blanche afin de réquisitionner tout ce qu’il pourrait trouver au village. Puis il alla chercher deux bouteilles de whisky dans sa jeep et il les lui offrit pour fêter la libération. Ainsi Patrick O’Leary, qui le matin encore n’était qu’un prisonnier opprimé, se retrouva tout à coup maître du camp. Il envoya aussitôt deux détenus, escortés de soldats américains, pour aller chercher les vaches qui se trouvaient encore dans la ferme spéciale des S.S. Elles furent abattues à la nuit et une première distribution fut faite aux malades.

Il s’empara ensuite des stocks de la petite usine de conserves voisine du compound S.S. Le tout fut immédiatement distribué avec le pain trouvé dans le réfectoire des Allemands. On vint l’avertir que le « kapo » arménien s’était caché dans une mansarde. Il avait été découvert et roué de coups par des prisonniers qui s’apprêtaient à le lyncher. O’Leary délivra l’Arménien et sermonna ses camarades :

— Nous devons nous montrer civilisés. Nous n’avons pas le droit de tuer sous le coup dé la haine.

L’Arménien, ainsi que le tzigane, firent des aveux complets. Ils furent exécutés par les soldats américains deux soirs plus tard. O’Leary procéda alors au désarmement des prisonniers qui, profitant du chaos, s’étaient emparés de revolvers et de mitraillettes allemandes. Il ne devait pas y avoir de règlements de comptes à Dachau.

Ce fut là une très sage décision. Dans d’autres camps de concentration, à Mathausen, par exemple, il y eut de véritables massacres entre prisonniers, chacun voulant se venger pour un morceau de pain volé, une insulte, une ancienne querelle. C’était précisément ce que les nazis avaient voulu faire de nous : de véritables bêtes. Nous n’avions pas à punir nous-mêmes ceux qui nous avaient fait souffrir. D’abord, parce qu’il s’agissait de nos camarades qui avaient vécu dans les mêmes conditions que nous. Ensuite, parce que nous avions tous été coupables, par égoïsme, par ignorance ou par folie, d’un surcroît de souffrance ou de la mort d’un camarade. Si nous étions encore en vie, nous le devions à tous les autres qui étaient morts, en quelque sorte à notre place. Les seuls responsables étaient nos bourreaux.

À Reims, dans « la petite école rouge » du grand quartier général de Schaef, il y eut dans le communiqué du 30 avril 1945 un court paragraphe signé par le général d’armée Dwight D. Eisenhower : « Nos forces ont libéré et nettoyé le camp de concentration de Dachau. 32 000 prisonniers ont été libérés. Les quelque 300 S.S. de la garnison ont été mis hors de combat. »

Nerin E. Gun

 


 

[1]Civils allemands mobilisés.

[2]Un des prisonniers rebelles, Karl Reiner, avait réussi à rejoindre les troupes américaines.

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