
Marie-Antoinette, mère de famille par Pierre de Nolhac, de l’Académie française
Quand notre pensée va vers la reine, nous ne la voyons guère que dans la vie fastueuse de la Cour ou dans l’intimité charmante de Trianon. Mais on oublie trop qu’elle eut aussi une vie maternelle dont elle sut goûter les douceurs et remplir tous les devoirs. C’est cet aspect de sa personnalité que nous présente, en 1949, l’historien et historien de l’art Pierre de Nolhac, l’un des premiers conservateurs du château de Versailles à avoir activement contribué à renaissance et à sa sauvegarde.
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Les Enfants de France vivaient au bout de l’aile du Midi, au rez-de-chaussée ouvrant sur la terrasse qui domine l’Orangerie. C’était, dans le Château, une partie retirée et bien exposée, que sa tranquillité et sa salubrité avaient fait choisir depuis longtemps pour l’éducation des petits princes. Le premier enfant qui y habita fut Madame Royale ; elle reçut les soins de Mme de Guéméné, gouvernante des Enfants de France, et habita l’aile jusqu’au début de 1783, où une installation lui fut préparée dans les Petits Appartements de la reine. Le Dauphin fut porté chez les Enfants de France, le 22 octobre 1782, jour de sa naissance, et son frère le duc de Normandie l’y rejoignit, le 27 mars 1785. Le Dauphin en sortit en 1787, pour « passer aux hommes ». Quand la princesse de Guéméné dut donner sa démission de la charge de gouvernante des Enfants de France, la duchesse de Polignac, nommée à sa place, vint habiter l’appartement de l’aile aux premiers jours de novembre 1782. On réserva au mari un petit logement comprenant antichambre, cabinet et chambre à coucher. La chambre de la gouvernante était séparée de celle du Dauphin par une porte de glace sans tain, qui permettait de voir de l’une dans l’autre.
Le chevalier de l’Isle, écrivant au prince de Ligne que leur amie, Mme de Polignac, recevait « toute la France », les mardis, mercredis et jeudis, ajoutait : « On habite durant les trois jours, outre le salon toujours comble, la serre chaude dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. » La galerie de bois fut, jusqu’à la fin, le coin des réunions intimes de la duchesse.
Le duc de Lévis les décrit ainsi : « Tout le reste de la semaine, elle menait une véritable vie de château. Une douzaine de personnes formaient, avec sa famille, sa société ; il y régnait une aimable liberté. On y jouait et on faisait de la musique, on causait ; jamais il n’était question d’intrigues ou de tracasseries, pas plus que si l’on eût été à cent lieues de la capitale et de la Cour. Je me rappelle avec un plaisir mêlé de regrets les agréables soirées que j’y ai passées, pendant les deux hivers qui ont précédé la Révolution. »
Marie-Antoinette, reine pédagogue avec ses enfants
En 1783, la reine commençait déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez Mme de Polignac ; elle se dégoûtait de cette compagnie, où beaucoup de gens lui déplaisaient et que la favorite ne voulut pas lui sacrifier.
« La reine, raconte le comte de La Marck, s’éloigna insensiblement du salon de Mme de Polignac et prit l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Mme la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement était très près de l’appartement de la reine ; elle y venait dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin, elle montrait là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en avait jamais laissé apercevoir chez Mme de Polignac. »
Il ne reste plus alors chez Mme de Polignac que le duc de Normandie ; pour les autres enfants, la mère s’est instituée gouvernante. Ses matinées sont à eux ; elle assiste aux leçons de leurs maîtres et quelquefois les fait répéter. Tous les loisirs que le plaisir prenait autrefois sont aujourd’hui réservés à ces nouveaux devoirs. Qu’on juge si Marie-Antoinette est capable de former l’âme de ses enfants :
« On les a toujours accoutumés, écrit-elle, à avoir grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu’en les grondant, j’ai l’air plus peinée et affligée de ce qu’ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non, prononcé par moi, est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge pour qu’ils ne puissent pas croire que c’est humeur de ma part… Mon fils n’a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue : nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu’ils sont… »
Tel est le ton de l’instruction adressée un peu plus tard à Mme de Tourzel, quand elle est appelée à remplacer Mme de Polignac. Aucune mère n’a étudié ses enfants avec des idées plus justes ni une affection plus clairvoyante. On sent le progrès moral accompli chez Marie-Antoinette ; on entrevoit aussi ce qu’elle fût devenue comme reine, en des temps moins troublés.
Une éducation aussi droite porte ses fruits et récompense le dévouement qui la dirige. Madame Royale « commence à devenir un personnage » et une charmante compagnie pour sa mère. Elle la suit dans ses visites charitables à ces orphelins que la reine fait élever par les gens de sa maison, à ces vieux serviteurs infirmes pensionnés par elle et placés à Trianon. La pratique de la bienfaisance doit corriger ce qu’il y a chez la princesse d’un peu dur et de trop fier. Mme Vigée-Le Brun en raconte un trait dans ses Souvenirs :
« La reine, écrit-elle, ne négligeait rien pour faire acquérir à ses enfants ces manières gracieuses et affables qui la rendaient si chère à ceux qui l’entouraient. Je l’ai vue faisant dîner Madame, alors âgée de six ans, avec une petite paysanne dont elle prenait soin, vouloir que cette petite fût servie la première en disant à sa fille :
— Vous devez lui faire les honneurs ! »
Ne trouve-t-on pas encore dans les Mémoires de Mme Campan une marque de ces préoccupations de Marie-Antoinette ?
« La Reine, écrit-elle, désirant placer dans le cœur de Madame, sa fille, non seulement le désir de soulager l’infortune, mais les qualités nécessaires pour se bien acquitter de ce devoir sacré, quoiqu’elle fût encore bien jeune, l’occupait sans cesse des souffrances que le pauvre avait à subir pendant une saison si cruelle. La princesse avait déjà une somme de huit à dix mille francs pour ses charités et la reine lui en fit distribuer elle-même une partie.
« Voulant donner encore à ses enfants une leçon de bienfaisance, elle m’ordonna de faire apporter de Paris, comme les autres années, la veille du jour de l’an, tous les joujoux à la mode et de les faire étaler dans son cabinet.
« Prenant alors ses enfants par la main, elle leur fit voir toutes les poupées, toutes les mécaniques qui y étaient rangées et leur dit qu’elle avait eu le projet de leur donner de jolies étrennes, mais que le froid rendait les pauvres si malheureux que tout son argent avait été employé en couvertures, en hardes, pour les garantir de la rigueur de la saison et leur donner du pain ; ainsi, que cette année ils n’auraient que le plaisir de voir toutes ces nouveautés. »
On ne parle guère alors du petit duc de Normandie, « vrai enfant de paysan, grand, frais et gros », dit Marie-Antoinette avec orgueil. Mais le Dauphin promet un prince généreux et intelligent. Il est réfléchi, précoce, avec le sérieux excessif des enfants qui lisent plus qu’ils ne jouent.
Il a des actes et des mots au-dessus de son âge. Un de ses jeunes compagnons a cassé une porcelaine à laquelle la reine tient beaucoup ; le coupable étant parti, on accuse le Dauphin, qui ne se défend pas ; la punition est pourtant sévère, car il est privé pour trois jours de sa chère promenade à Trianon. Le coupable revient et, spontanément, avoue sa faute ; on s’étonne alors que le prince n’ait rien dit :
— Est-ce à moi, répond-il, d’accuser quelqu’un ?
Louis XVI, professeur de géographie de sa fille
D’autres anecdotes évoquent la vie de la famille royale autour des enfants. Nous en trouvons dans les Mémoires peu connus et jamais cités du valet de chambre de la jeune Madame Royale, P.-L. Hannet-Cléry, frère de celui qui fut au Temple le fidèle serviteur de Louis XVI.
« M. l’abbé Davaux, écrit-il, enseignait à Madame Royale la religion, la lecture, l’histoire, la fable et la géographie ; mais c’était à la leçon de géographie surtout que le Roi assistait le plus assidûment, et même il la présidait. Il serait difficile d’imaginer un tableau plus touchant.
« Ce bon roi, pour faciliter l’instruction de sa fille dans une science qu’il possédait à un degré éminent, découpait les cartes géographiques placées sur la table, et mettait ainsi successivement et par ordre, sous les yeux de son élève, les divisions générales des quatre parties du monde, et celles particulières à chaque État.
« Cette étude, ainsi convertie en jeu, devint un utile amusement, qui fit de Madame Royale une excellente géographe ; et Louis XVI est véritablement l’inventeur de ce mode d’enseignement, adopté depuis dans toutes les maisons d’éducation de France, et peut-être de l’Europe.
« De son côté, la Reine enseignait à sa fille, et avec le même zèle, la couture, la broderie, et toutes sortes d’ouvrages à l’aiguille. J’ajouterai, pour bien faire connaître cette excellente reine, qu’elle exerçait aussi les jeunes doigts de son auguste fille à coudre les chemises et les layettes, qu’elle lui faisait ensuite distribuer aux pauvres par les mains des deux curés des paroisses de Versailles. »
Une dernière anecdote montre bien la simplicité qui régnait dans cet intérieur royal dont la vie quotidienne reste si peu connue :
« Un jour, la Reine, raconte encore Hanet, en ouvrant avec vivacité la dernière porte du corridor de communication à l’appartement de sa fille, cassa dans la serrure même le passe-partout qui servait à ouvrir toutes les autres portes, de sorte que, après avoir refermé celle qui précédait, Sa Majesté se trouvait emprisonnée dans un sombre corridor ; il ne recevait de jour que par un œil-de-bœuf donnant sur un cabinet où je me trouvais.
« La Reine m’aperçoit à travers le vitrage ; elle frappe, et, forçant un peu sa voix, m’ordonne de courir à ses petits appartements lui chercher un autre passe-partout. Il ne laissait pas d’y avoir un assez long trajet, et c’était précisément pour l’éviter que ces corridors avaient été pratiqués. Je mis tant de promptitude à remplir ses ordres que, ne pouvant supposer que ce fût déjà moi qui arrivais, elle eut quelque frayeur.
« Le morceau du premier passe-partout, étant resté dans la serrure, empêchait de se servir de celui que j’apportais ; ainsi la Reine, ne pouvant plus arriver par là à l’appartement de sa fille, fut forcée de regagner le sien. Elle me fit l’honneur de s’appuyer sur mon bras, et je la reconduisis chez elle… Le Roi parut. La Reine s’empressa de lui raconter l’histoire du passe-partout.
« Un moment après, Louis XVI, toujours muni d’instruments de serrurerie :
— Venez, Madame, dit-il à la Reine, nous allons réparer l’accident du passe-partout.
— Nous arrivons ; la serrure est bientôt démontée et la Reine passe chez sa fille.
« Mais le Roi voulut achever la réparation. Resté pour l’éclairer, je fus bientôt témoin d’une scène très comique.
« Le Roi avait remonté la serrure, et, pour essayer si la clef tournait bien, il était sorti de cette partie du corridor ; ma lumière n’éclairait pas l’autre ; il se trouvait ainsi dans l’obscurité.
« Le hasard fit que Delmas, garçon de la chambre, attendait précisément un serrurier pour travailler dans l’appartement de Madame. Voyant un homme qui lui tournait le dos et faisait mouvoir en tous sens une clef, il le prend pour cet ouvrier, s’en approche et lui frappe un peu rudement sur l’épaule, en disant :
— Eh ! papa, vous vous faites bien attendre !
« Le Roi ouvre la porte, se retourne, et Delmas, reconnaissant son maître, jette un cri de frayeur. La Reine, qui l’entend, accourt de l’appartement de Madame, et voit d’un côté Delmas épouvanté et de l’autre le Roi riant de tout son cœur en se frottant l’épaule. Il était en position de dire comme le maréchal de Saxe : Et quand c’eût été Georges, il ne fallait pas frapper si fort. Leurs Majestés, touchées de la confusion de ce pauvre Delmas, le rassurèrent avec bonté. »
J’ai conté, dans La Reine Marie-Antoinette, comment se mêlèrent peu à peu d’amertume les douceurs que la reine trouvait auprès de ses enfants. Son bonheur maternel ne dura pas longtemps : sa dernière fille, Madame Sophie, meurt à onze mois ; presque aussitôt, la santé du Dauphin s’altère et son état brusquement devient grave.
« Mon fils aîné, écrit la reine à Joseph II, me donne bien de l’inquiétude. Quoiqu’il ait toujours été faible et délicat, je ne m’attendais pas à la crise qu’il éprouve. Depuis quelque temps, il a tous les jours la fièvre et est fort amaigri et affaibli… Le roi a été très faible et maladif pendant son enfance ; l’air de Meudon lui a été très salutaire, nous allons y établir mon fils. »
C’est une illusion que les médecins donnent à la mère, comme aussi lorsqu’ils persuadent que la cause principale du terrible mal est un travail de dentition. Seuls mensonges bienfaisants dans la vie de cette reine, dont la destinée fut d’être trompée.
Le séjour au château de Meudon n’amène aucun bien. Au printemps de 1789 on ne peut plus rien cacher : l’enfant est condamné et lui-même se sent mourir. La jeune comtesse de Lage va le voir, un après-midi, avec Mme de Lamballe, et revient de Meudon tout émue :
« Il est déchirant, écrit-elle, d’une souffrance, d’une raison, d’une patience qui va au cœur. Quand nous sommes arrivées, on lui faisait la lecture. Il avait eu la fantaisie de se faire coucher sur un billard, on y avait étendu des matelas. Nous nous regardâmes, la princesse et moi, avec la même idée que cela ressemblait au triste lit de parade après leur mort. Mme de Lamballe lui demanda ce qu’il lisait :
— Un moment fort intéressant de notre histoire, Madame, le règne de Charles VII ; il y a là bien des héros.
Je me permis de demander si Monseigneur lisait de suite ou les morceaux les plus frappants.
— De suite, Madame, je n’en sais pas assez long pour choisir, et tout m’intéresse.
4 juin 1789. Marie-Antoinette brisée par la mort du Dauphin
Ses beaux yeux mourants se tournèrent vers moi en disant cela. La comtesse parla aussi de la mère, de cette mère qu’on a voulu représenter chassée par une répugnance enfantine du chevet de son fils mourant : « Tout ce que dit ce pauvre petit est incroyable ; il fend le cœur de la Reine ; il est d’une tendresse extrême pour elle. L’autre jour, il la supplia de dîner dans sa chambre ; hélas ! Elle avalait plus de larmes que de pain. »
Le dénouement approche. Paris, si agité depuis quelques semaines par la politique, s’attendrit cependant à la pensée de l’enfant qu’il acclamait il y sept années. On raconte ses souffrances courageuses, on s’informe avec anxiété des progrès du mal.
Le 2 juin, à dix heures du soir, le bourdon de Notre-Dame se met à sonner les prières des quarante heures ; le 3, au matin, le Saint-Sacrement est exposé dans toutes les églises ; le 4, entre six et sept heures du soir, après le premier acte au Théâtre-Français, on baisse la toile : la mort du Dauphin vient d’être annoncée. Tandis que la rumeur et les commentaires emplissent la ville et font oublier un moment la Révolution, une mère sanglote, dans une chambre du château de Meudon, à genoux près du lit où viennent de finir tant d’espérances.
Après la mort du premier Dauphin survenue le 4 juin 1789, Mme de Polignac se transporta avec le duc de Normandie, devenu dauphin, au rez-de-chaussée du corps du Château. La gouvernante s’y trouvait lors de la manifestation populaire du 15 juillet. Le lendemain, les Polignac quittaient le Château ; leur impopularité était devenue un danger pour eux comme pour la reine. On peut accepter comme vraie la scène racontée par Diane de Polignac et confirmée par Mme Campan la reine faisant appeler les Jules, à huit heures du soir, le 16 juillet, et les suppliant de partir dans la nuit même ; les préparatifs faits à la hâte ; le billet d’adieu de la reine apporté vers minuit ; enfin ce départ qui ressemble à une fuite, le duc et la duchesse, leur fille, la duchesse de Guiche, et leur sœur, la comtesse Diane, abandonnant dans les ténèbres ce Versailles où ils ont si brillamment vécu. La place laissée vide par Mme de Polignac est aussitôt occupée par la marquise de Tourzel, qui s’installe au Château aux premiers jours d’août, avec sa fille, Pauline, plus tard comtesse de Béarn. La chambre de la jeune fille était située sous les fenêtres du cabinet de la reine, et lorsqu’elles étaient ouvertes, on pouvait entendre tout ce qu’elle disait, par exemple ses entretiens avec le Roi. Il y a, à ce sujet, une jolie réponse de Marie-Antoinette, prévenue de cet inconvénient par Mme de Tourzel :
— Qu’importe ? Je n’ai rien à craindre, quand mes plus secrètes pensées tomberaient dans le cœur de notre chère Pauline.
Le second dauphin, futur Louis XVII, martyr du Temple
Le nouveau Dauphin, confié à ce dévouement est celui qui porta un jour le nom de Louis XVII. Sans être tout à fait un joli enfant, il est de ceux dont les mères se font gloire. Mais il est de tempérament scrofuleux ; sa courte réserve de santé s’épuisera vite. Dès le temps de Versailles, il exige des soins particuliers.
En le confiant à Mme de Tourzel, après la mort de son frère, en juin 1789, Marie-Antoinette, mère attentive et prudente, ne manque pas d’indiquer à la gouvernante certaines précautions nécessaires. On sent chez elle une prédilection pour ce second fils, alors que Louis XVI avait mis tout son orgueil dans le premier. Elle le croit alors fort et bien portant. Cependant, elle recommandait des prescriptions significatives de médecins :
« Il a besoin pour sa santé d’être beaucoup à l’air, et je crois qu’il vaut mieux le laisser jouer et travailler à la terre sur la terrasse que de le mener promener plus loin ; l’exercice que les petits enfants prennent en courant et en jouant à l’air est plus sain que de les forcer à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins. »
Au reste, à quatre ans et demi, le Dauphin est gai, étourdi, violent dans ses colères et tendre dans ses caresses. L’observation maternelle du caractère est perspicace :
« Il a un amour-propre démesuré qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage… Il est très indiscret, il répète aisément ce qu’il a entendu dire et souvent, sans vouloir mentir, il y ajoute ce que son imagination lui a fait voir ; c’est son plus grand défaut et sur lequel il faut bien le corriger. »
Mais « il est bon enfant et, avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera de lui ce qu’on voudra ».
Il semble bien que l’éducation ait produit un charmant petit dauphin, d’une mine gracieuse, d’un esprit naturel qui se montre en reparties vives, et d’une véritable bonté de cœur. Tous les témoignages assurent que Marie-Antoinette a réussi son œuvre, qu’elle a vraiment commencé à « élever un roi ».
Il faudra, pour la détruire, l’intervention du dernier « précepteur », le savetier Simon. Il fera bientôt d’un enfant sensible et gai, et qui a résisté aux chagrins du Temple, un petit être apeuré et taciturne, qu’on voit des journées entières accroupi dans l’angle d’un sordide cachot, sans air, avec la vermine sur son pauvre corps.
L’aimable prince, dont la reine était si fière, n’est plus qu’un rachitique, aux chairs bouffies, couvert de tumeurs scrofuleuses, que ses jambes ne soutiennent plus et que la mort vient délivrer, le 20 prairial an III, au temps où les fleurs embaument les parterres de Trianon.
Pierre de Nohlac, de l’Académie française
À suivre Violation des tombeaux royaux par le docteur Léon Cerf