
Sur la route du Tokaido
Suivez, jusqu’au 23 septembre, la plus célèbre des voies japonaises à travers l’exposition que lui consacre le musée Guimet. Plusieurs oeuvres, dont un exceptionnel ensemble complet d’estampes dit les « Cinquante-trois stations du Tokaido », prêt de la collection Leskowicz, retrace l’histoire de cet itinéraire entré dans la mémoire collective japonaise et européenne. Un voyage de toute beauté au coeur du Japon de l’époque Edo.
Visuel : Utagawa Hiroshige. Estampe tirée de « Cinquante-trois stations du Tokaido ». Collection Leskowicz, Paris. 13e station. Hara. Petite station située sur la côte de la baie de Suruga. Deux voyageuses, accompagnées d’un serviteur qui porte leurs bagages, marchant non loin de l’imposant mont Fuji que l’artiste a représenté sortant du cadre de l’estampe pour montrer sa majesté. ©V.Dumas
Le Tokaido ou « route de la mer de l’Est » est l’un des itinéraires à la fois les plus célèbres, les plus pittoresques et les plus importants de l’histoire du Japon par son rôle dans la construction de l’espace politique, administratif, économique, artistique et même touristique de l’époque Edo (1603-1868). Le pays commence à se replier sur lui-même mais connaît enfin une paix sans précédent après d'interminables guerres féodales.
S' étirant sur 500 kilomètres en bordure de littoral, jalonné de sites remarquables dont le mont Fuji, à travers des paysages variés, il relie Edo (actuelle Tokyo), la capitale du shogun, à Kyoto, le lieu de résidence de l’Empereur. Depuis l’époque de Kamakura (1185-1333), il est emprunté par des milliers de voyageurs. Marchands, pèlerins, anciens gouverneurs de province (daimyo) (et de nos jours, des touristes du monde entier), vont le suivre pendant des siècles en subissant les aléas d’une traversée souvent difficile et périlleuse, franchissant fleuves et cols de montagnes, par tous les temps, et utilisant toutes sortes de moyens de locomotion. Mais cette voie est aussi un élément essentiel du contrôle du territoire par l’empereur. Au début de l’époque Edo, le pouvoir est encore entre les mains du shogun, mais il doit, chaque année, prendre la route du Tokaido pour lui présenter ses respects.
La route du Tokaido et ses cinquante-trois stations ou gites d’étapes.
Cette route du Tokaido, entrée dans l’imaginaire collectif nippon et européen, va donner lieu à une oeuvre littéraire, une sorte de roman picaresque à la japonaise en douze volumes de Jippensha Ikku et à des créations artistiques remarquables comme ces « Cinquante-trois stations du Tokaido » du grand peintre Hiroshige (1797-1858), un best-seller de son temps tiré à des milliers d’exemplaires. L’exposition nous permet de découvrir l’un d’eux, intact et complet, une merveille issue de la première édition dans laquelle sont représentées les 53 stations(ou shuku). Cinquante-trois comme les cinquante-trois relais aménagés pour accueillir les voyageurs, auxquels s’ajoutent deux sites, le point de départ, le pont Nihonbashi, et la dernière étape, le pont de Sanjo à Kyoto, terme du voyage. Ces étapes obligées donneront par la suite naissance à de véritables agglomérations.
Chacune des estampes, d’une fraîcheur de coloris remarquable, révèle un point de vue différent de la route et met en scène des instantanés semblant pris sur le vif. En 1832, Hiroshige fait lui-même partie d’une délégation officielle et prend de nombreuses notes et esquisses pendant son voyage. Il a ainsi pu recréer a posteriori des scènes de genre, fourmillant de détails très instructifs sur la vie quotidienne japonaise. Son chef d’oeuvre est marqué notamment par l’utilisation du lumineux « bleu de Prusse » et de la perspective à l’occidentale.
Le début du tourisme à la japonaise
La présentation de cette pièce maîtresse, dans la rotonde du deuxième étage, est accompagnée de guides de voyage de l’époque Edo, les premiers du genre qui ont accompagné les prémices du tourisme nippon. De plus, une autre oeuvre exceptionnelle, un album de 1863, le « Tokaido processionnaire » rassemblant près de deux cents estampes signées des quinze meilleurs artistes de l’époque et récemment acquis par le musée, est présentée en accordéon sur dix mètres de long. Elle met en lumière le Japon de la fin du shogunat et a appartenu au médecin de marine, écrivain, poète, archéologue et sinologue Victor Segalen, dont est célébré le centenaire de sa mort. Une exposition temporaire associée lui rend hommage.
Véronique Dumas
Sur la route du Tokaido et Ombres de Chine – hommage à Victor Segalen, à voir jusqu’au 23 septembre 2019 au musée Guimet, 2e étage.