
Festival Historia. Les saltimbanques de la mémoire
Strasbourg, 16-18 février 2018
On reconnaît les têtes bien faites au mouvement qui les entoure. Pierre Prévost sait très bien où il va et d'où il vient. Le fondateur et directeur de la compagnie Acidu avait pourtant mal commencé avec l'histoire. Il se souvient d'un professeur anesthésiant et de sa note pitoyable au bac. « Je n'en avais pas pour autant fini avec l'histoire, au contraire. » Cheveux ras et barbichette, de la voix grave du fumeur avec des intonations d'épicurien, il déroule sa vie comme une suite de rencontres et de passions.
Après un cursus théâtre à Paris VIII, il se lance, en 1987, dans l'aventure du Millénaire capétien, un salon organisé dans la Grande Halle de la Villette. Pierre Prévost est chargé de l'animation et de la conception. Il va voir des spectacles en province et constate qu'ils sont très « sociétés savantes ». Cela lui rappelle trop son professeur rasoir. L'histoire, il faut la faire vivre. Et pour cela, quoi de mieux que le verbe ? Cela tombe bien, Pierre Prévost adore parler, communiquer, transmettre. Pendant ce Millénaire capétien, il assure huit heures continues de programme. Mais surtout il rencontre Philippe Gillet, un historien de la gastronomie, qui lui donne le goût d'aller plus loin, mais toujours dans la même direction. Il se lance alors dans le théâtre de rue dévolu à l'Histoire. « J'ai réuni 24 personnes et j'ai bricolé avec tout ça, ce que je savais et ce que j'avais envie de faire. » Son appétence pour le Moyen Âge et le vieux français ont fait le reste.
En 1999, il fonde la compagnie Acidu. Toujours située à Montreuil, à la périphérie de Paris, l'organisation tient de la ruche et de la caverne d'Ali Baba. Dans une pièce, on travaille le Plastazote. De cette mousse que l'on sculpte sortent des chevaux, un drakkar, un dragon faciles à transporter et à manipuler dans les rues... À côté, on fabrique des éléments de décor, une chaise à porteurs ou un char romain. Dans une autre pièce, on range et on entretient les 500 costumes ; dans une salle, on répète avec une marguerite géante... Tout n'est pas historique dans le répertoire d'Acidu, mais l'Histoire y occupe une place importante. Pour Pierre Prévost, qui signe tous les textes des spectacles, le déclencheur fut la lecture de Fortune de France , de Robert Merle. « Il avait le don de nous immerger dans une époque, de rendre le passé présent. » C'est comme cela que sont nés La Marquise de Noutroy , qui traverse une ville dans sa chaise à porteurs au XVIIIe siècle, L'Herbier charlatan , inspiré par Rutebeuf, Les Pilleuses de câlins , sur leur drakkar, ou Les Joyes du mariage . « À partir d'un texte satirique et très misogyne du XVe siècle, j'ai tiré des scénettes.
Les mots de l'époque
J'ai voulu plonger les spectateurs dans une atmosphère de ville à la fin du Moyen Âge en leur faisant vivre des scènes de ménage. Le public découvre que le phénomène urbain existait déjà. C'est une façon de les concerner. Avec la difficulté de faire passer une langue qui n'est plus parlée. » Car, bien sûr, Pierre Prévost a conservé la sonorité des mots de l'époque. Il va encore plus loin avec Agrippine , une pièce à moitié en latin, présentée surtout dans les sites romains. L'argument est simple. Sur un char tiré par deux légionnaires, Agrippine part en quête de son fils, Néron, pour lui annoncer qu'il est empereur... « Le public est toujours impliqué. On joue au milieu de lui. Il se retrouve immergé dans la magie du jeu. C'est la bascule entre l'Histoire et aujourd'hui. »
Dans ce rapport au passé, une part de l'adaptation est laissée à l'improvisation, comme dans tout théâtre de rue. « On attend un acquiescement du public. C'est pour cela que la troupe est réduite le plus souvent à trois acteurs. Cela laisse la place à l'interaction avec les spectateurs. Ils ne se contentent pas de regarder passivement. Ils font partie du spectacle. » Sur ce mode, en province ou à l'étranger, en français, en espagnol ou en anglais, dans la plupart des festivals, la compagnie Acidu propose une dizaine de spectacles historiques autour de l'Antiquité, du Moyen Âge, du Grand Siècle et des Lumières. « Si le Moyen Âge est si présent, c'est parce qu'il correspond à la thématique de la plupart des manifestations historiques en France, mais aussi à l'étranger. Il nous faut nous adapter aux sites et aux différents festivals. On ne va pas proposer Les Donzelles , qui traitent du libertinage, dans un environnement médiéval. »
L'obligation d'être bons !
Directeur, auteur et metteur en scène, Pierre Prévost se produit toujours, mais avec moins de régularité. Il a joué jadis Perceval dans Graal théâtre , de Florence Delay et Jacques Roubaud. Cela lui a donné l'idée d'écrire Les Graaleurs . « Les ados adorent, mais un spécialiste du cycle arthurien m'a confié qu'il s'y retrouvait lui aussi. Ceux qui connaissent l'histoire apprécient les clins d'oeil, les autres se laissent porter par l'intrigue. Nous écrivons et nous jouons pour tous les publics. » En fin de compte, Pierre Prévost joue avec l'Histoire plus qu'il ne la joue. « L'Histoire structure notre présent. Elle nous renvoie au passé en nous faisant prendre conscience d'aujourd'hui. C'est pourquoi je réfléchis à un spectacle sur Jeanne d'Arc. Sa personnalité nous dit des choses sur nous-mêmes. En fait, je m'intéresse plus à l'histoire des Français qu'à l'histoire de France. »
Jouer dans la rue, mettre l'Histoire à la portée de tous, Pierre Prévost en a fait sa fierté. Elle le ramène au travail premier des comédiens, ceux qui montaient sur des tréteaux, haranguaient la foule et plaisantaient. « La différence entre le spectacle de rue et le spectacle au théâtre, c'est qu'il faut happer les spectateurs. Rien ne les oblige à rester ! » Pas étonnant que la compagnie Acidu ait choisi le citron comme logo. Pour aciduler l'Histoire...
Laurent Lemire
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