Festival Historia. Les prouesses de la réalité virtuelle

 
 Strasbourg, 16-18 février 2018

 

Le 24 mars 2017, j'ai l'occasion de visiter la grotte préhistorique Mayenne-Sciences, à Saulges, équipée d'un casque audio et d'un visiocasque HTC Vive, une manette dans chaque main : de l'une, je pointe un faisceau dans les ronds bleu fluo dessinés au sol pour me déplacer à ma guise dans les couloirs de la grotte. De l'autre, j'en éclaire, à la torche ou à la lampe, les parois ornées. En certains endroits, le dessin d'un oeil apparaît, qu'il me suffit de toucher de la manette droite pour qu'un commentaire évoque telle ébauche de bison ou de cheval, probablement apparue parce que la forme naturelle de la paroi s'y prêtait... L'expérience est saisissante et mémorable : je visite cette grotte de la vallée de l'Èvre, fermée au public, comme si j'y étais ou presque ! Au point d'en oublier le stand du conseil général de la Mayenne sur lequel je me trouve, en ce 19e salon Laval Virtual, pour lequel la société Anagram a conçu cette expérience immersive exceptionnelle de « réalité virtuelle » !

La réalité virtuelle permet de recréer ce qui n'existe plus ou n'est pas accessible. Si son aboutissement ultime est sans doute la visite immersive au visiocasque que je viens de vivre, son principe de base est la modélisation 3D : elle permet depuis les années 2000 de restituer le bâti original de ruines (Pompéi, 2004 ; Cluny, 2010), de reconstituer l'entièreté d'une céramique dont il ne subsiste que quelques morceaux, ou encore de reproduire tout simplement une oeuvre.

Christophe Martin, illustrateur scientifique et directeur de Com par l'image, et Fabrice Paul, informaticien et directeur d'Edikom, allient depuis 2012 leurs compétences artistiques et informatiques à leur passion de l'Histoire. Un secteur où, selon Fabrice Paul, « seules une dizaine de sociétés informatiques se font concurrence en France ». Leur stand, au Laval Virtual 2017, recèle de réalisations muséographiques virtuelles, conçues en collaboration étroite avec les archéologues à partir d'illustrations, de photos, voire d'une photogrammétrie très précise du réel : sur écran tactile, une modélisation interactive de la Vallée des Rois permet d'en visiter les tombes, reconstituées d'après les photos d'origine. Une amphore et son amphorisque flottent en 3D dans l'espace, projetées sur un mince maillage transparent, une réplique du crâne de Toumaï s'affiche comme un hologramme dans un théâtre optique pyramidal, tandis que, plus loin, son impression 3D s'expose derrière une vitrine numérique augmentée, sur laquelle défile une vidéo contextualisant sa découverte en 2001, au Tchad...

De prometteuses perspectives

On l'aura compris, il est aujourd'hui possible, grâce à l'informatique, de reproduire le réel, jusqu'à ses textures, volumes et couleurs, de créer des anastyloses ou des reconstitutions virtuelles. Et l'illusion peut être d'autant plus forte que des dispositifs spécifiques, tels les visiocasques, permettent au spectateur de s'immerger totalement dans ces décors numériques : le HTC Vive ou encore l'Oculus Rift nécessitent une connexion à un ordinateur ; d'autres dispositifs, plus accessibles financièrement (Gear VR, Google Cardboard...) utilisent comme écran un simple Smartphone. Téléchargez par exemple l'application gratuite Ancient World in VR, de la société Lithodomos VR, spécialisée dans la reconstitution archéologique gréco-romaine, et vous vous retrouverez, chaussé d'une simple paire de Google Cardboard, en plein coeur des arènes de Lutèce !

Accessible sur tablettes et Smartphone, ou, pour les plus nantis, avec des dispositifs spécifiques, comme les Google Glass ou l'HoloLens, la réalité augmentée (AR, pour augmented reality ) consiste à ajouter des éléments d'information (textes, commentaires) et des éléments multimédias au réel. Elle est pour l'instant moins aboutie, ses contraintes informatiques étant plus pointues : géolocalisation, mapping 3D, interface translucide ou connectée à une caméra... mais ses perspectives sont très prometteuses ! « Dans un lieu dont certains éléments ont disparu, pouvoir confronter le réel en lui superposant un graphisme qui reconstitue un univers passé permet d'en enrichir la visite », explique Xavier Lelevé, propriétaire du château Dunois, à Beaugency.

Ce rêve est devenu réalité depuis 2013, avec l'HistoPad, un iPad mini 4 doté d'une application de réalité augmentée, mis au point pour le château de Falaise par la société Histovery et, depuis, pour bon nombre de musées. Avec la société 44 screens, Xavier Lelevé a investi plus de 200 000 euros dans la mise au point d'une « tabulette » inspirée de l'HistoPad, disponible depuis l'été 2016. « Nous avons créé un parcours pour les enfants, à côté du parcours pour adultes, avec des passerelles entre les deux », précise-t-il. Guidés par Gentien de Beaugency, l'alchimiste et astrologue qui conseillait la famille d'Orléans, les enfants ont pour mission de faire éclore un oeuf de dragon, en passant des « épreuves » dans chacune des pièces du château. Et ce sont souvent eux qui mènent la visite des adultes qui les accompagnent ! En effet, ils peuvent lire fièrement les textes d'explication, accessibles en neuf langues, à leurs parents. Parfois, une étoile bleue clignote sur l'écran. « Quand vous cliquez dessus, vous découvrez les tapisseries qui ornaient les murs, les fresques des plafonds, les mets et les épices de l'époque ! » s'enthousiasme Xavier Lelevé. Au gré de la visite, on peut aussi, grâce à la tabulette, prendre un selfie avec François Ier ou défier ce dernier au jeu de paume dans la cour du château ! « On n'est plus dans un rapport intellectuel mais dans un rapport de plaisir », souligne l'heureux propriétaire.

Il est probable que demain chacun sera en mesure de visiter n'importe quelle ville en découvrant sur l'écran de son smartphone « comment c'était avant ». Et ce, grâce à une simple appli téléchargée sur son « store », à l'instar d'Appymax, une application pour mobiles développée par les équipes de 44 screens : l'une de ses versions permettra dès le 1er juillet 2017 de visiter Paris en confrontant aux monuments actuels la ville telle qu'elle était - ou telle qu'on l'imagine - au temps de Napoléon Bonaparte !

Et il est probable que les progrès de la restitution 3D mettront un jour dans notre quotidien des hologrammes de personnages virtuels dotés d'intelligence ! La Fondation pour la Shoah de l'université de Californie du Sud (USC) développe depuis 2012, avec l'Institut des technologies créatives de l'USC, le projet « nouvelles dimensions du témoignage ». Sa première réalisation est un hologramme de Pinchas Gutter, rescapé du camp d'extermination de Majdanek, couplé à un programme d'intelligence artificielle, qui permet de dialoguer librement avec lui ! Depuis 2014, il a été exposé dans plusieurs musées du monde, faisant à chaque fois sensation. Toutes ces avancées soulèvent néanmoins la question de leur durabilité historique. Car les structures de production ne sont pas éternelles, tout comme les supports numériques : les premières peuvent cesser leurs activités (ce sont souvent des start-up), les seconds doivent être sauvegardés régulièrement, au risque que leurs données soient à tout jamais effacées. Un manque de pérennité qui s'accorde mal aux exigences de l'Histoire !

Clara Delpas

Photo : Histopad / Conciergerie de Paris

 


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La cour des mirages lavalloise

Laval, petite ville de Mayenne, est devenue la capitale mondiale de la réalité virtuelle et augmentée. Son salon annuel, Laval Virtual, a accueilli en mars 17 000 visiteurs et 240 exposants venus du monde entier. Et elle peut se vanter d'accueillir quelques « grands », comme le californien EON Reality, leader mondial de la 3D, qui y a ouvert son antenne française. Le marché mondial des équipements et logiciels a été évalué à environ 80 milliards de dollars à l'horizon 2025, dont près des trois quarts concernent les jeux vidéo et le secteur professionnel (selon une étude de 2016 de Goldman Sachs Global Investment Research). C. D.

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