1915-1918. Lettres d’Alfred Döblin, médecin militaire allemand et écrivain

Publié en 2010 dans sa version originale en langue allemande par les éditions Gollenstein sous le titre Meine Adresse ist: Saarguemünd, cet ensemble de lettres, de textes et d'articles d'Alfred Döblin,  rassemblés et commentés par Ralph Schock, nous est présenté dans sa traduction française.  
À lire absolument pour sa grande valeur documentaire et littéraire.

Alors neurologue à Berlin, Alfred Döblin, l’auteur du fameux roman Berlin Alexanderplatz en 1929, est âgé de 36 ans quand il décide, en bon patriote, de se porter “volontaire” dans l’armée allemande. De janvier 1915 à août 1917, il est stationné comme médecin militaire à Sarreguemines, ou Saargemünde en allemand, ville frontalière de l’Alsace annexée par l’Allemagne en 1871. Dans une caserne de l’infanterie bavaroise, il est responsable de trois baraquements où les soldats malades ont été regroupés.

Peu politisé, naïvement “nationaliste”, il déchante vite. Le 6 mars 1915, il s’étonne, dans une lettre à une amie, que beaucoup de ses patients soient « enthousiastes » devant la guerre : « L’un d’entre eux, décoré de la Croix de Fer, me racontait qu’il ne connaît rien de plus beau que de monter à l’assaut, baïonnette en avant, pour transpercer l’ennemi... »

Quant à lui, une existence « répétitive », un service « monotone », un avenir « incertain » le plongent dans les idées noires. Il désespère que la guerre « s’éternise », et qu’elle cause bien des « ravages » autour de lui. Les premiers bombardements de l’aviation française, en novembre 1916, l’affolent. « C’est la troisième année que je suis ici et, si l’Entente le désire, pour bien plus longtemps encore. C’est moche, affreux, épouvantable », écrit-il le 12 janvier 1917.

Il en profite pour rédiger un roman historique sur la Guerre de Trente ans, Wallenstein. En juin 1917, devant l’abdication du dernier tsar, Michel II, il s’illusionne sur l’éventualité d’une paix germano-russe. Un mois plus tard, il est conduit au lazaret de Haguenau, à 75 kilomètres, pour « une  sorte de crise nerveuse ». Protestant contre les conditions sanitaires, il en est venu à des altercations avec son « détestable supérieur », le « médecin d’état-major » Rudolf Johannes. Muté ensuite à Haguenau sur l’ordre de ce dernier, il n’attend plus que sa démobilisation. Il ne peut plus dormir. Il a perdu tout appétit. Dès la fin novembre 1918, il rejoint Berlin. Il abandonne l’Alsace aux soubresauts révolutionnaires qui ébranlent l’Allemagne, tout en en ayant le temps cependant, tremplin à de futures œuvres, de s’imprégner des événements auxquels il assiste.

Ses relations avec le voisinage de la Sarre n’en sont pas toutefois terminées. En octobre 1945, rentré de son émigration temporaire aux États-Unis pour échapper aux persécutions nazies, il est engagé, à Paris, comme “officier culturel” auprès des autorités de la zone d’occupation française. Son poste est à 150 kilomètres de Sarreguemines, à Baden-Baden. Entre-temps, son deuxième fils, mathématicien naturalisé français, incorporé dans un régiment de l’armée française, s’est suicidé le 21 juin 1940 à Housseras, un village des Vosges, pour éviter de tomber aux mains des nazis. 

Concocté par un éminent spécialiste de l’histoire de la Sarre, Ralph Schock, et remarquablement traduit, ce recueil anthologique montre le peu de ferveur que la politique pangermaniste de Guillaume II, l’empereur d’Allemagne, a suscitée chez un écrivain comme Döblin. Attitude minoritaire, certes, à l’intérieur de la génération allemande du front, mais témoignant d’un état d’esprit qui va favoriser le renversement du régime monarchique en 1918-1919. Autre intérêt de ce livre très bien illustré, il offre une esquisse de l’Alsace à la veille de sa réintégration à la France. Réintégration dont le prochain centenaire est justement sur le point d’être célébré. Lionel Richard

Je vous écris de Sarreguemines, 1915-1918 d’Alfred Döblin, traduction de Renate et Alain Lance (Ars-sur-Moselle, Serge Domini éditeur, 2017, 25 €.)

Alfred Döblin / Repères
• Depuis 1906 : médecin et écrivain à Berlin.
• De 1915 à 1918 : médecin militaire en Lorraine et en Alsace
• 1933 : exil à Paris via Zurich.
• 1936 : obtient la nationalité française
• 1940 : exil aux États-Unis en passant par le Sud de la
   France, l’Espagne et le Portugal.
• Novembre 1945 : retour en Allemagne. Travaille dans
   l’administration française à Baden-Baden et Mayence.
• 1953 : il déménage à Paris ;
• 1954-1957 : séjours en clinique et en maison de conva-
   lescence dans le pays de Bade.
• 1957 : mort à Emmendingen. Repose aux côtés de son
    épouse et de son fils au cimetière de Housseras (Vosges)

Œuvres
• Les recueils de nouvelles
L’assassinat d’une renoncule (1912) et Les Lobensteiner vont en Bohème (1917)
• Les romans
Les trois bonds de Wang-Lun (1915), Wallenstein (1920), Berlin Alexanderplatz (1929), Novembre 1918 (1948), Hamlet (1956) ainsi que des essais, notes et critiques sur la
littérature

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