MAZARIN : CINQUANTE NUANCES DE ROUGE

L'historien Olivier Poncet brosse un portrait tout en complexité du cardinal, ni vraiment une franche canaille ni vraiment un diplomate génial...

La majorité des contemporains du cardinal Mazarin le tenait pour un intrigant, un débauché, un hypocrite et un voleur ; bref, une franche canaille bien servie par la chance. Pour les auteurs des mazarinades, les pamphlets xénophobes qui l'attaquaient, il était le « gredin de Sicile », séducteur de la naïve Anne d'Autriche. Les historiens ultérieurs, surtout ceux du XXe siècle, l'ont réhabilité : ils en ont fait une des plus illustres figures du récit national, tout à la fois disciple de Richelieu et mentor de Colbert, et ont célébré en lui le principal artisan des traités de Westphalie (1648) et de la paix des Pyrénées (1659). Ainsi inscrit dans la série des « grands ministres », Mazarin est souvent considéré avec révérence comme un politique d'une suprême habileté et un diplomate hors pair : pour sa dernière biographe en date, l'historienne Simone Bertière, il est tout simplement le « maître du jeu ». Dans ce livre neuf et souvent décapant, Olivier Poncet redécouvre un autre Mazarin, plus complexe et sans doute plus proche de la vérité.

Le « coeur du monde »

Pour ce faire, il revient à la source, c'est-à-dire à cette Italie dont le cardinal ministre est originaire, où il a vécu pendant près de quatre décennies et qui n'a cessé d'occuper ses pensées jusqu'à son décès. Devenu premier ministre et parrain du roi de France, Mazarin se sent et se veut toujours un Romain. Il dépense dans la Ville éternelle une partie de son immense fortune et suit les intrigues de la cour pontificale - jusqu'à caresser le dessein de se faire élire pape ! L'Italie demeure en effet pour lui, comme elle l'était pour le Richelieu du Testament politique , le « coeur du monde », le noeud des relations internationales. Jusqu'au bout, il parle et écrit l'italien mieux que le français, et l'auteur laisse souvent la parole à son personnage dans les deux langues, de manière à nous faire apprécier des expressions souvent savoureuses.

Olivier Poncet révèle aussi que la plupart des entreprises italiennes de Mazarin ont été des échecs. Tout expert qu'il soit des complexes jeux de rivalité entre États de la péninsule, le cardinal ne parvient pas à en modifier les équilibres géopolitiques, et l'Espagne des Habsbourg, grande rivale de la France des Bourbons, y demeure la puissance prépondérante. Le rusé prélat s'essaie à toutes sortes de manoeuvres, garde plusieurs fers au feu... mais les résultats se font attendre. Le cardinal a été plus heureux, à l'intérieur, dans sa lutte contre la Fronde et, à l'extérieur, dans les campagnes militaires qu'il a soutenues dans les Flandres et sur le Rhin.

Une foi incertaine

Il en va de même des éléments de la culture italienne que Mazarin a tenté d'acclimater au-delà des Alpes - en architecture, peinture, littérature, musique. La tentative intervient alors que la France tend à se constituer en modèle d'un nouveau classicisme. Le gouvernement de Mazarin correspond d'ailleurs à un moment où le cycle inauguré avec la Renaissance et les guerres d'Italie se referme. Le centre de gravité géopolitique et intellectuel de l'Europe se déplace vers le nord, l'Italie tend à devenir un vaste musée à ciel ouvert que visitent les premiers touristes, et le cardinal ministre sera le dernier Italien à jouer un rôle majeur sur la scène internationale avant l'unité italienne.

Olivier Poncet nous fait découvrir un Mazarin tout en nuances, subtil mais moins habile qu'on ne croit, adepte de la force des armes autant que de la négociation, catholique à la foi incertaine, étranger à tout esprit de système. Servi par une plume allègre, fort d'une connaissance intime de la Rome baroque et de l'Italie du Seicento, Mazarin l'Italien prélude à une réévaluation de la vie et de l'oeuvre d'une des personnalités les plus énigmatiques de l'histoire de France.
Thierry Sarmant

Mazarin l'Italien d'Olivier Poncet (Tallandier, 288 p., 21 euros)

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