
Le lieutenant Baldacci, « corps perdu » de la Grande Guerre

Après 99 ans d'efforts familiaux menés successivement par son arrière-grand-mère, sa grand-mère et sa mère, Michel Vergé-Franceschi a enfin obtenu gain de cause. Le nom de son grand-oncle, le lieutenant Saint-Cyrien Jean Baldacci (promotion des Marie-Louise 1911-1913) a été inscrit sur le monument aux morts de Bastia sa ville natale, le 11 nov. 2013. Dans l’ouvrage qu’il lui consacre, l’historien retrace la trop courte carrière militaire de ce jeune officier de 24 ans, mais surtout le désarroi de sa famille confrontée au manque d’informations précises quant aux circonstances de sa mort au front, puis à un imbroglio administratif.
Le 27 septembre 1914, à l’attaque du bois de Géréchamp (Meuse), le lieutenant Baldacci tombe à la tête de la première compagnie qu’il commandait. Les autres officiers ont déjà été tués ou blessés. Comment a- t-il succombé? Les témoignages de ses frères d’armes diffèrent. A- t-il été fauché sur son cheval en criant, sabre au clair, « Allons-y les Enfants », ou empêtré en franchissant des barbelés face à une tranchée bavaroise ? Quoiqu’il en soit, tous font état de sa bravoure.
Il est inhumé dans le petit village de Xivray (Meuse). Son avis de décès –dressé aux armées- est expédié en 1916 à la mairie de Nice où casernait son régiment (le 163e d'infanterie), jusqu’à la veille de la déclaration de guerre. Mais c’est par la presse que ses parents apprennent sa mort au combat. Elle leur est confirmée peu après par le maire de Marseille. L’avis de décès parvenu en 1916 à la mairie de Nice, ne sera expédié à sa mère, devenue veuve entre-temps, qu’en 1930 et encore seulement sous forme d’extrait.
Sa mort ne sera indiquée ni sur les registres d’état-civil de Xivray, ni sur ceux de sa ville natale (Bastia) et il ne figurera pas plus sur le Monument aux morts de Bastia, alors qu’il sera inscrit sur celui de Nice. Le lieutenant Baldacci est un « corps perdu » que sa sœur – la grand-mère de l’auteur – va tenter, jusqu’à son dernier souffle, de ramener parmi les Morts pour la Corse et pour la France. De 1914 à 1974, elle entretiendra, en vain, avec les autorités civiles ou militaires une correspondance nourrie. Son petit-fils, Michel Vergé-Franceschi, professeur d'histoire moderne à l'Université de Tours, a décidé de publier ce dossier. « En 1974, écrit-il, ma grand-mère âgée de 83 ans, à l'agonie, m’a demandé de mettre dans son propre cercueil les pansements ensanglantés de son frère. » Et d’ajouter : « Né en 1951, j'ai donc vu du sang versé en 1914, mais séché, grenat et coagulé. » Ce livre est un devoir de mémoire pour les siens, « mais aussi pour toute une génération et pour tous les jeunes Corses morts au combat. Ils furent treize mille... » rappelle-t-il.
Véronique Dumas
Jean Baldacci (1890-1914). A corps perdu. Une famille corse en deuil face à la guerre de 1914 de Michel Vergé-Franceschi, préface de Paul Silvani (Éd. Colonna, 2014), Prix du Livre corse 2014