Vacances en France. Le retour à la tradition, du Front populaire aux Trentes Glorieuses

Cet été, huit Français sur dix restent été dans l’Hexagone. On se croirait retournés quelques décennies en arrière.

Visuel : Cabines du bord de mer, Alfred Sisley, 1897, Dessin, arts graphiques, pastel, papier, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, PPD803, CC0 Paris Musées / Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

Des vacances… en France. Cet été, coronavirus oblige, des milliers de Français, plutôt que de partir à l’étranger comme ils en ont l’habitude, ont décidé de ne pas franchir les frontières. Fort heureusement, le territoire ne manque pas de lieux de villégiature :  entre la mer, la montagne et la campagne, les intéressés vont pouvoir couper agréablement. En attendant, la situation invite volontiers à une lecture historique : selon de nombreux observateurs, il s’agit d’un retour aux sources, avec la découverte de son propre pays via le prisme des congés. Dans leur ligne de mire, l’été 1936 : cette année-là, 600 000 Français prennent le vélo ou le train - la voiture est encore un luxe - pour se projeter vers nouveaux horizons, parfois à quelques dizaines de kilomètres de chez eux, alors que jusque-là ils n’en avaient guère la possibilité.
L’instauration des congés payés est passée par là : en juin 1936, le Front populaire fraîchement élu fait voter un texte qui prévoit quatorze jours de vacances, dont douze ouvrables. Sont concernés tous les salariés disposant d’un contrat de travail auprès d’un employeur et justifiant d’au moins un an d’ancienneté. L’avancée est énorme mais la France est en retard : dès 1905, l’Allemagne a opté pour ce dispositif, suivie par une rafale de pays européens entre 1910 et 1930 (Autriche-Hongrie, Pologne, Espagne…).
L’aménagement de la France touristique dépend pour une large part de cette révolution de l’été 1936. Les billets populaires de congé annuel – institués par Léo Lagrange, le sous-secrétaire d’Etat aux sport et à l’organisation des loisirs, et délivrés par la SNCF (en troisième classe) – prennent en charge les parcours aller-retour d’au moins 200 kilomètres. Les villages en bord de mer sont les premiers à en profiter : à partir de 1936, pendant les mois de juillet et août, leur population est multipliée par quatre ou cinq ; les voilà obligés de se doter d’équipements hôteliers, sportifs et/ou culturels. Par exemple, la piscine de Bon-Secours à Saint-Malo est inaugurée à cette période : trois-quarts de siècle plus tard, elle est toujours là, avec son panorama exceptionnel sur les îlots adjacents.

Le boom du tourisme balnéaire dans les années cinquante

Sur toutes les façades maritimes de l’Hexagone, le tourisme balnéaire connaît une accélération définitive au cours des années 1950, avec des sites de mieux en mieux équipés. Pendant ce temps, les congés payés s’institutionnalisent : de deux semaines en 1936, on passe à 3 en 1956, 4 en 1969 et cinq enfin en 1981. Les années 1960 marquent un tournant dans la civilisation des loisirs, l’apogée des Trente Glorieuses offrant aux Français les moyens de se déplacer et de consommer : au cours de cette décennie, la Renault 16 se vend à près de 2 millions d’exemplaires ; cette voiture est la première vraie berline familiale, où peuvent s’entasser les bagages. Au même moment, la réputation de Saint-Tropez rentre définitivement dans l’imaginaire collectif, bien servie par la chanson de Brigitte Bardot, les films avec Louis de Funès et les défilés de stars sur la plage. Cette période coïncide enfin avec l’essor sans précédent des colonies de vacances : chaque été, près de 4 millions d’enfants partent ainsi en « colo ».
Que reste-t-il de cette période, de ces - premières – décennies pendant lesquelles la France s’est ouverte massivement au tourisme ? En marge des grandes transhumances et du fait que le pays s’arrête de travailler au mois d’août, les projets pharaoniques et les polémiques associées vont marquer les esprits. Il y a plus de cinquante ans, La Grande-Motte – à une douzaine de kilomètres de Montpellier - mais aussi le Cap d’Agde ou Port Barcarès surgissent sur les rives de la Méditerranée. En amont, l’Etat a pu racheter, très discrètement, quelque 1 200 hectares le long de la côte languedocienne. C’est l’architecte Jean Balladur qui est directement chargé par le général de Gaulle de réaménager ce littoral. Son travail déclenche les passions parce qu’il rompt avec les codes en usage : les vieux villages s’effacent derrière les grands immeubles en lisière de la plage, les perpendiculaires traditionnelles disparaissent au profit d’une avalanche de courbes. Une oasis de soleil et le paradis des piétons, disent ses promoteurs. Tous ne l’entendent pas de cette oreille, se plaignant d’un bétonnage en règle. En ce début de XXIème siècle, les débats autour des grands aménagements touristiques sont loin d’avoir disparu : la question du réchauffement climatique leur donne même une visibilité supplémentaire.  

Frédéric de Monicault

 

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