
Une jeunesse sacrifiée, une vieille histoire
La génération montante voit son avenir obscurci par la crise sanitaire. Mince consolation, ses devancières ont souvent été chahutées.
Visuel : L'arrivée à la gare du Nord en 1914. Infirmière conduisant des enfants. Berteaux, Hippolyte Dominique , Dessinateur. Musée Carnavalet, Histoire de Paris. D.6219.CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
Des examens passés à distance, des stages annulés, des cursus à l’étranger repoussés et bien sûr des entretiens d’embauche raréfiés, après que des promesses d’emploi se sont envolées : la crise sanitaire, avec pour corollaire la crise économique, multiplie les obstacles auprès de la jeunesse ; il n’en faut pas plus pour que le concept de génération sacrifiée refasse florès. Au passage, on oublie un peu vite que les jeunes Français d’aujourd’hui vivent – heureusement - dans une société plus favorisée : en un demi-siècle, l’espérance de vie a gagné 20%, la consommation est trois fois supérieure et l’accès aux études supérieures s’est largement démocratisée ; en 1960, il n’y a guère plus de 10% de bacheliers. Des indicateurs vite balayés quand les jeunes en 2020 mesurent les dégâts collatéraux du coronavirus. Ont-ils des points de comparaison ? A la fin des années 2000, marquées par une crise financière très sévère, le taux de chômage des nouveaux arrivants sur le marché du travail grimpe de trois points.
Cela ne rassurera pas les intéressés mais la jeunesse actuelle qui s’inquiète de l’avenir réveille des images anciennes, voire d’un autre temps. En 1836, dans son roman La Confession d’un enfant du siècle, Alfred de Musset se plaint d’être « venu trop tard dans un monde trop vieux ». En l’occurrence, le jeune écrivain (né en 1810) est moins préoccupé par les difficultés économiques que par la trajectoire d’un pays jugée déclinante ; la fin de la domination napoléonienne, le conservatisme social et l’absence de spiritualité étayent son constat. Musset regrette tout simplement de ne pas avoir connu les épopées intenses de la Révolution et de l’Empire. Une génération sacrifiée par manque d’idéal, en quelque sorte.
La Première Guerre mondiale, grande responsable du sacrifice de la jeunesse
Au début du XXème siècle, ce ne sont ni l’économie ni l’absence de souffle qui plongent la jeunesse dans le désarroi. Mille fois plus terrible, la Première Guerre mondiale est la grande responsable d’une génération sacrifiée. Selon les statistiques du ministère de la Guerre, les effectifs des conscrits - âgés de 17 à 20 ans - tournent autour de 300 000 hommes, mobilisés essentiellement dans l’infanterie. Pour mesurer l’importance de la saignée, quelque 900 jeunes Français meurent chaque jour sur les champs de bataille. On ne compte pas les blessés, qui se chiffrent en milliers. A la fin de la guerre, la jeunesse d’un pays entier a été martyrisée : sur dix hommes âgés de 20 à 45 ans, deux ont péri, un est invalide et trois sont blessés.
A l’orée de la Seconde Guerre mondiale, la jeune génération est moins sacrifiée que déboussolée. D’un côté, elle a grandi dans le souvenir des aînés morts au champ d’honneur de 1914-1918, de l’autre, elle vit dans l’obsession du « plus jamais ça ». Ce double horizon nourrit des engagements variés, de la Jeunesse communiste à Jeunesse ouvrière chrétienne (Joc) en passant par une large variété de mouvements, y compris le scoutisme. Certaines de ces entités seront des foyers de recrutement pour la Résistance mais les historiens ont bien montré qu’une unanimité a toujours tardé à se dégager contre l’occupant.
D'autres génération sacrifiées après les Trente Glorieuses
Dans la seconde moitié du XXème siècle, les difficultés économiques s’imposent comme le frein principal à l’envol des jeunes. Autant les premiers baby-boomers nés dans les années 1940 bénéficient d’un marché dynamique avec l’avènement des Trente Glorieuses (la part des cadres augmente chaque année de 0,5%), autant les générations postérieures aux années 1960 souffrent sans relâche. Elles sont les victimes par excellence de la succession des crises économiques, devenues un facteur de fragilité structurelle. Après le premier choc pétrolier, le taux de chômage des 16-25 ans ne dépasse pas encore les 10% ; quarante ans plus tard, au sortir de la crise financière de 2008-2009, il dépasse les 20%. Dix ans ont passé depuis cette tourmente et le coronavirus plonge à son tour les jeunes dans l’affliction.
Frédéric de Monicault