Pologne. 450e anniversaire de l’Union de Lublin

De l’Europe de Bruxelles à l’Europe de Lublin : la Pologne tente de renouer avec son passé lointain comme nous l'explique l'historien David Engels, titulaire de la chaire d’Histoire romaine à l’Université libre de Bruxelles et professeur de recherche à l’Instytut Zachodni à Poznan (Pologne).

Le 30 juin 2019, toute l’élite politique polonaise, ainsi que de nombreux délégués haut-gradés de toutes les nations avoisinantes, se sont réunis à Lublin afin de commémorer avec faste un événement largement passé inaperçu dans les médias occidentaux, bien que d’importance cruciale pour l’identité de l’Europe centrale : le 450e anniversaire de l’Union de Lublin de 1569, scellant l’unification du royaume de Pologne et du Grand-Duché de Lituanie et ainsi la naissance du plus grand empire territorial européen hormis la Moscovie, contrôlant, outre la Pologne, la moitié occidentale de l’Ukraine, le Belarus et les pays baltes. Bien que successivement démantelé vers la fin du 18e siècle, cet État ne fut pas seulement une force civilisatrice de premier ordre pour la stabilisation et l’Européanisation des confins orientaux du continent, mais aussi un paradigme politique injustement oublié par une Union européenne pourtant à la recherche de sa raison d’être identitaire. Que ce soit la construction d’une société multi-ethnique et multi-religieuse, la réalisation d’un équilibre précaire entre subsidiarité et centralisme, les débuts d’une participation démocratique des citoyens au gouvernement, un fédéralisme complexe ou la défense brillante de la civilisation occidentale contre les menaces venant du Sud ou de l’Est, la Pologne de Lublin livre un bel exemple historique dont les politiciens européens en quête d’inspiration devraient se souvenir.

La Pologne tente de renouer avec son histoire et de développer sa propre politique européenne 

Ceci est d’autant plus notable que la Pologne, après s’être volontairement alignée sur la plupart des positions de l’Europe occidentale depuis la chute du Mur, tente désormais de renouer avec son propre passé historique et de développer une propre politique européenne : l’alliance politique Visegrad, l’ambitieux plan d’un espace économique « Trimarium » (entre la Baltique, la Mère Noire et l’Adriatique) et la construction d’une nouvelle épine dorsale européenne logistique organisée autour de l’autoroute « Via Carpathia » allant des États Baltiques à travers l’Est de la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie jusqu’en Grèce montrent que, en dépit de moyens restreints, la Pologne veut aller de l’avant : avec ses voisins, elle ne compte plus laisser la construction européenne dans les mains d’un couple franco-allemand pesant très lourd dans les prises de décision de l’Union, mais tente de compléter cette vision typiquement occidentale de l’Europe par la sienne. Après le Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, renouant volontairement avec le passé carolingien et non concerté avec les voisins respectifs, qui pourrait reprocher à la Pologne de vouloir s’inspirer, elle-aussi, de son grand passé et de se référer au modèle étatique de Lublin ?

Un travail de mémoire positif

En tout cas, la volonté de la Pologne et, avec elle, de toute la moitié orientale de l’Europe de renouer avec sa propre histoire semble un bon indice que, tout doucement, le traumatisme des partages et des occupations laisse le pas à un travail de mémoire positif. Certes, il y a encore beaucoup de chemin à faire, et il ne faudra pas qu’une idéalisation abusive et naïve du passé mette en péril l’approche réaliste et pragmatique dont nous avons tous besoin pour analyser et contrer les défis d’un futur qui s’annonce sombre. Toujours est-il que, à une époque où l’Ouest semble entièrement empêtré dans un travail de mémoire sur ses « crimes » historiques, le modèle d’une Europe fière de sa propre histoire et refusant de sombrer dans un genre de défaitisme post-historique semble donner un nouvel espoir quant aux forces de résilience du « vieux continent ».Vu que la diversité a toujours été la force de notre civilisation, peut-être faudra-t-il donner raison à Adolph Muschg qui, en 2006 déjà, avait prédit que l’accession des États centre-européens allait insuffler une nouvelle dynamique à un processus d’intégration de plus en plus empêtré dans un raisonnement économique et politique néo-libéral et élitiste ?

David Engels

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