
Paris, capitale des théâtres
Plusieurs salles changent de propriétaire. Le monde du spectacle est habitué à ces mouvements.
Visuel : théâtre de la Concorde à Monte Castello du Vibio (Italie) ©Wikimedia Commons
Le théâtre est un secteur économique à part entière. Pour ceux qui en doutent encore, ils n’ont qu’à se référer aux mouvements intervenus cet automne à Paris : le Théâtre de Paris, la Michodière et les Bouffes Parisiens changent de mains, rachetés par Fimalac Entertainment (NDLR : l’une de branches de la holding du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière), qui exploite déjà Marigny, la Porte Saint-Martin et la Madeleine. Bref, un véritable petit empire, à l’image de celui constitué par l’homme d’affaires Jean-Marc Dumontet, qui possède lui aussi plusieurs théâtres parisiens.
Depuis quand Paris fourmille-t-il de lieux de spectacles ? Et le sens artistique est-il compatible avec le sens des affaires ? La fin du XIXème siècle, dans le sillage des grands travaux du baron Haussmann, est assimilée à une période phare : la ville se développe, s’embourgeoise, devient le carrefour de plusieurs populations, entre la frange aisée des affaires, les commerçants débordant d’idées, les ouvriers réquisitionnés par les chantiers et les gens de maisons de plus en plus nombreux. Tous aiment à se divertir, même s’ils ne disposent pas des mêmes moyens pour cela. L’ère haussmannienne est restée célèbre pour l’édification de l’Opéra et du Châtelet, mais beaucoup d’autres salles prennent racines, offrant de jolis motifs d’évasion, du vaudeville au mélodrame en passant par le registre plus classique du répertoire.
La plupart des architectes s’inspirent du modèle du théâtre à l’Italienne
Y-a-t-il un style architectural commun à ces théâtres qui poussent ? L’aspect pratique, c’est-à-dire la volonté d’accueillir différentes catégories de spectateurs, fait coexister les loges, les fauteuils d’orchestre et les dorures du foyer avec les escaliers plus raides et les sièges éloignés du poulailler. Le théâtre en lui-même est un reflet de la société. La plupart des architectes s’inspirent du modèle du théâtre à l’Italienne (né au XVIIème siècle), lui-même relié au théâtre antique romain : la scène est surélevée par rapport à la salle, cette dernière étant souvent en forme de fer à cheval. Plusieurs niveaux - avec deux, trois, voire quatre balcons – surplombent le plateau. Sait-on qu’à cette période du Paris en pleine transformation, les loges sont souvent réservées aux femmes, de manière à éviter que leurs chapeaux n’altèrent le champ de vision des spectateurs assis à l’orchestre.
Au XIXe, le boulevard du Temple devient le boulevard du Crime
Mais les travaux du baron Haussmann se traduisent aussi par la destruction du boulevard du Temple : cette artère mythique a été baptisée au XIXème siècle «le boulevard du crime», non pas pour des questions d’insécurité mais parce que les mélodrames qui se jouent sur les scènes adjacentes ont leur lot de sang versé. Dès la seconde moitié du XVIIIème siècle, plusieurs scènes drainent les foules sur cet axe phare de la capitale : la Gaieté, le Cirque Olympique, l’Ambigu comique… Des estaminets et des petits musées complètent le tableau. Dans la rue, pour appâter le chaland, les théâtres organisent des «parades», c’est-à-dire des extraits du spectacle s’appuyant sur des personnages hauts en couleurs. Cela met en joie les passants.
Les mélodrames ont la cote sur le boulevard du Temple mais d’autres veines rallient les suffrages : aux Funambules, Jean-Gaspard Deburau (1796-1846) est un mime qui sera immortalisé dans le film Les enfants du paradis de Marcel Carné. L’artiste est salué à sa juste valeur par quelques observateurs aussi inspirés que Théophile Gautier, George Sand ou Gérard de Nerval. Car le théâtre, c’est aussi une affaire de plumes, avec des chroniqueurs qui s’en sont toujours donnés à cœur joie pour épingler – ou célébrer – les spectacles.
Frédéric de Monicault