Métier : plume de président. De Georges Pompidou à Camille Pascal
L’écrivain Camille Pascal, après avoir travaillé pour Nicolas Sarkozy, vient de rejoindre Jean Castex. Sous la Vème, la tâche n’est pas de tout repos. De Georges Pompidou à Éric Orsenna, les « plumes » des hommes d’État doivent allier le talent d’écriture à l’humilité.
Dans les milieux politiques, la nomination n’est pas passée inaperçue : Camille Pascal, l’une des anciennes plumes de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, a rejoint ce trimestre Jean Castex à Matignon. Le rôle est stratégique : savoir mettre en forme une pensée est essentiel pour la diffuser efficacement. Personne n’a oublié la requête du général de Gaulle : « Trouvez-moi un normalien qui sache écrire. » Nous sommes en 1944, de Gaulle compose alors son gouvernement. Le normalien en question sera Georges Pompidou, nommé chargé de mission au ministère de l’Education nationale. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, l’intéressé a été reçu premier à l’agrégation de lettres en 1934.
Georges Pompidou, le normalien, écrit lui-même ses grands discours
Pétri de culture humaniste – il a publié une anthologie de la poésie française -, le même Pompidou, une fois à Matignon puis à l’Elysée, continuera d’écrire lui-même ses – grands – discours. Sous la Vème République, le natif de Montboudif (Cantal) est l’un des exemples d’une plume (d’un politique) devenue à son tour un poids lourd. Laurent Fabius en est un autre : après avoir été étroitement associé aux interventions de François Mitterrand entre 1976 et 1981, il entre au gouvernement après l’accession à l’Elysée du candidat socialiste, avant d’être nommé Premier ministre en 1984. Interrogé par l’AFP, Laurent Fabius use d’une jolie formule pour décrire cette trajectoire : « Il y a un cycle ; on commence en écrivant des discours qu’on ne prononce pas, on termine en prononçant des discours qu’on n’a pas écrits. »
Un certain Alain Juppé se fait remarquer par ses talents d’écriture
De son côté, Alain Juppé, locataire de Matignon entre 1995 et 1997, démarre son ascension grâce à ses talents d’écriture. En 1976, il rencontre un certain Jacques Chirac, alors chef du gouvernement et en quête d’une plume. L’aîné dit alors à son cadet : « On me dit que vous voulez faire de la politique ? J’espère au moins que vous savez tâter le cul des vaches. » En attendant de faire campagne sur le terrain, Alain Juppé se distingue comme étant un fin lettré, à la fois normalien et agrégé de lettres classiques.
D’une manière générale, les plumes n’ont pas vocation à sortir de l’ombre. Ou alors seulement après avoir changé d’univers. A ce moment-là, elles en profitent pour rappeler quelques-uns de leurs faits d’armes, à savoir ces discours d’ampleur qui marquent une rupture ou surprennent par leur ton. Christine Albanel (ministre de la Culture entre 2007 et 2009) est celle qui a écrit l’intervention de Jacques Chirac en juillet 1995, auprès du monument commémoratif de la rafle du Vélodrome d’Hiver, dans le XVème arrondissement de Paris. A cette occasion, pour la première fois, un président de la République française reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs. Christine Albanel dira plus tard que le projet originel du texte a été peine retouché. Le président l’interrogeant seulement pour savoir s’il allait suffisamment loin dans sa prise de position.
En revanche, les mots prononcés par le même Jacques Chirac le 11 mars 2007, quelques semaines avant de quitter définitivement l’Elysée, requièrent mille et un ajustements. « Pas un instant, vous n’avez cessé d’habiter mon cœur et mon esprit. Pas une minute je n’ai cessé d’agir pour servir cet France magnifique. Cette France que j’aime autant que je vous aime », s’enflamme le chef de l’Etat dans sa dernière prise de parole signifiante. Christine Albanel dira que ce discours a été « corrigé » une bonne centaine de fois…
Être la plume d’un politique requiert une bonne dose d’humilité
Le travail d’une plume est ainsi fait que le ou les titulaires du poste doivent faire preuve d’humilité. Erik Orsenna en sait quelque chose. Lui qui écrivit pour François Mitterrand a plusieurs fois raconté comment un projet de texte lui était revenu sévèrement annoté : « Pour qui vous prenez - vous, avait mentionné le président, ajoutant aussi « pour qui me prenez – vous. » Orsenna a t – il conçu du dépit de cette réplique cinglante ? Le plus souvent, les plumes se sentent tellement en osmose avec leur grand homme qu’elles lui pardonnent tous ses emportements ou manifestations d’un ego surdimensionné.
Frédéric de Monicault