
Les saisonniers. Une tradition ancienne
Les campagnes françaises ont besoin d’une main d’œuvre étrangère pour la saison des récoltes. La crise sanitaire fragilise un phénomène ancré de longue date.
Visuel : Environs de Nîmes, travailleurs marocains et espagnols dans les vergers du mas des Tuileries. 1981. Photographie de Jacques Windenberger © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
Y-aura-t-il suffisamment de travailleurs saisonniers en France cet été pour travailler dans les champs ? Dans plusieurs régions, les récoltes (cerises, pêches, melons…) ont démarré ou sont proches de le faire et les exploitants manquent cruellement de main d’œuvre. D’ordinaire, le chemin est bien balisé. Des milliers de travailleurs franchissent la Méditerranée, en provenance pour l’essentiel de la Tunisie et surtout du Maroc. Ils bénéficient d’un contrat ratifié par l’Office français d’immigration et d’intégration (OFFI). Avec la crise sanitaire, ces flux sont très impactés, en dépit des efforts publics pour accélérer les procédures.
Les contrats OFFI ont été établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour hâter la reconstruction du pays, avec une série d’accords bilatéraux à la clé. L’Office est lui-même un organisme créé après-guerre, placé alors sous la double tutelle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale et du ministère de la Santé publique et de la Population. Il s’agit d’un levier au service de la politique d’immigration, élaborée notamment par le juriste René Cassin (futur artisan de la Constitution de la Vème République) et le démographe Alfred Sauvy (auquel on doit l’expression de « Tiers monde », utilisée pour la première fois en 1952, dans un article de presse). Au début, les territoires limitrophes sont les principaux pourvoyeurs des campagnes françaises : en 1946 par exemple, les statistiques recensent quelque 11 500 saisonniers dont une écrasante majorité de citoyens belges.
Une tradition de travailleurs saisonniers belges née au XIXe siècle
Cette tradition des travailleurs d’outre-Quiévrain s’est enracinée dès le XIXème siècle, à la fois dans la région parisienne et dans l’est de la France : dans plusieurs documents, on retrouve la trace de ces grandes fermes de Seine-et-Marne qui recrutent massivement dans les Flandres belges. Le surpeuplement rural de l’autre côté de la frontière explique les déplacements de cette main d’œuvre bon marché, affectée à la culture du lin et de la betterave (nécessaire pour le fourrage et l’industrie sucrière). Les chefs d’équipes sont les « ploegbaes », qui font le lien entre leurs compatriotes flamands et les fermiers français ; en marge du surpeuplement rural, les difficultés du secteur textile sont un autre facteur de l’immigration saisonnière de la Belgique vers la France, qui perdure pendant plus d’un siècle. Certaines années, on dénombre plus de 40 000 saisonniers en provenance des Flandres belges, au point qu’un consulat de Belgique est ouvert dans la région.
Après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de contrats OFFI grimpe de manière exponentielle : tour à tour, des contrats sont ratifiés avec l’Italie (1951), l’Espagne (1961), le Portugal, la Tunisie et le Maroc (1963). Pour les rapatriés d’Algérie qui exploitent des domaines dans le sud de la France, ce recours à une main d’œuvre étrangère s’impose naturellement. Au début des années 1970, toutes filières confondues, plus de 130 000 travailleurs saisonniers viennent épauler les agriculteurs dans l’Hexagone. Ces effectifs entament ensuite une longue décrue : la réorganisation du secteur, le soutien à l’emploi local, le progrès technique, les crises économiques ou encore le développement d’une immigration illégale expliquent cette évolution.
Les Raisins de la colère de Steinbeck ou l’odyssée d’une famille de métayers
Force est de constater que les livres d’Histoire et même les ouvrages économiques s’intéressent beaucoup moins à la main d’œuvre saisonnière qu’à d’autres corporations. Pourtant, elle existe depuis toujours : au Moyen-Age et sous l’Ancien Régime, les dénominations sont nombreuses, entre les brassiers, les manouvriers ou les journaliers, à la fois mal équipés et mal payés. C’est dans la littérature que l’on trouve les portraits les plus vifs des saisonniers et le poids de leur ancrage dans la société : Les Raisins de la colère par exemple sont un témoignage poignant ; publié en 1939, l’écrivain américain John Steinbeck y raconte l’odyssée d’une famille de métayers qui quitte l’Oklahoma pour la Californie. En pleine crise de 1929, cette dureté de la vie aux champs est universelle.
Frédéric de Monicault