Les prix, dopants pour les éditeurs et les libraires

Le mois de novembre est celui des récompenses littéraires. Les époques passent, le poids des tirages reste.

C’est parti pour la grande quinzaine des prix littéraires. L’attribution du prix Goncourt à Jean-Paul Dubois, pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon (L’Olivier), a ouvert le bal. Pendant une bonne partie du mois de novembre, les récompenses (Femina, Renaudot, Interallié, Médicis…) vont s’enchaîner. Avec l’espoir pour les éditeurs que ces lauriers dopent leurs ventes. En moyenne, un Goncourt s’écoule autour de 400 000 exemplaires - pour un chiffre d’affaires d’environ 6 millions d’euros. Parfois moins, parfois plus, et même beaucoup plus : comme en 1972, où L’épervier de Maheux de Jean Carrière s’envolera à plus de 1,2 million d’exemplaires. L’auteur aura d’ailleurs beaucoup de mal à se remettre de ce succès. «Le tout n’est pas d’avoir le prix Goncourt, encore faut-il être assez fort pour s’en dépêtrer», confiera plus tard l’intéressé.   

Le Goncourt peut récompenser un premier roman – comme Jean Rouaud en 1990 avec Les champs d’honneur, il peut aussi célébrer un(e) auteur(e) confirmé(e) : ainsi Marguerite Duras en 1984 avec L’amant ; le livre dépassera les 1,5 million d’exemplaires, alors que ses précédents ouvrages se sont écoulés à quelques milliers seulement.

Dès la fondation de l’Académie Goncourt en 1902, des bases financières sont posées

Il ne faut pas croire que la performance économique d’une œuvre de littérature obéisse à un réflexe contemporain. Dès la fondation de l’Académie Goncourt en 1902, des bases financières sont posées. Après la mort d’Edmond de Goncourt en 1896, son testament (rédigé en 1884) stipule qu’une somme de 5 000 francs soit octroyée au vainqueur d’un prix décerné annuellement tandis que les membres du jury bénéficieront d’une rente annuelle de 6 000 francs. Il s’agit de leur épargner «les basses besognes du journalisme» pour gagner leur vie. L’Académie Goncourt (ou Société littéraire des Goncourt) proclame son premier lauréat en décembre 1903.  

On ne refera pas ici l’histoire des prix littéraires, des jeux en coulisses, des polémiques vigoureuses et des succès inattendus. De temps en temps, la grande Histoire n’est pas loin car le choix des œuvres distinguées est très révélateur d’une époque. En 1919, Proust (finalement couronné avec A l’ombre des jeunes filles en fleurs) trouve en face de lui Roland Dorgelès et Les croix de bois, l’un des récits les plus poignants des tranchées de la Première Guerre mondiale. Faut-il privilégier le style, la psychologie et l’imaginaire ou l’enracinement dans un réel brutal ? Dorgelès obtient quand même le prix Femina, avant de rejoindre l’Académie Goncourt en 1929 puis de prendre la présidence du jury en 1955. Lequel prix Femina a été lancé en 1904 pour contrecarrer les visées machistes du cercle du Goncourt, qui assumait de récompenser uniquement des écrivains masculins. A titre indicatif, dans la foulée de son prix, Proust vendra plus de 20 000 exemplaires. 

De nouveaux Prix plus démocratiques dans les années 70

En marge des prix académiques, on va voir peu à peu émerger des prix moins institutionnels, décernés, pêle-mêle, par un média, un panel de lecteurs ou même une entreprise. Ces récompenses se développent beaucoup au cours des années 1970 (Prix des Lectrices de Elle, Livre Inter…). Mai 1968 est passé par là, avec le souci d’offrir une alternative à la galaxie traditionnelle des prix d’automne. Au fur et à mesure de ces ajouts, la France compte aujourd’hui quelque 2 000 prix littéraires, dont 200 environ ont une surface nationale.

Frédéric de Monicault

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