
Les prisons, une poudrière aujourd’hui comme hier
La pandémie de coronavirus durcit encore les conditions de détention. Une nouvelle secousse dans l’histoire du monde carcéral.
Visuel : ©Stéphane de Sakutin/AFP
Dans les prisons, pendant la période de confinement, les conditions de détention sont encore plus dures : les parloirs ont été supprimés, les colis sont acheminés en moindre quantité et les activités traditionnelles (sport, travail, formation…) réduites au strict minimum. Sans compter la promiscuité qui hâte la propagation de l’épidémie. Au-delà des cas de coronavirus recensés, l’administration pénitentiaire ne cache pas sa crainte de voir monter les risques de mutinerie. D’ores et déjà, pour faire retomber la pression, la libération anticipée de quelque 5 000 détenus a été annoncée par le ministère de la Justice. Avec la pandémie, les deux problèmes majeurs – et structurels – des prisons françaises, surpopulation carcérale et environnement ultra-dégradé, deviennent encore plus aigus.
Le rôle crucial de Bonaparte dans l’organisation des prisons en France
Comme dans beaucoup d’autres domaines, Napoléon Bonaparte joue un rôle crucial dans l’organisation des prisons en France. A son initiative, le système devient beaucoup plus centralisé : d’où la création de maisons centrales, financées par l’Etat, gérées directement par le ministère de l’Intérieur et implantées à plusieurs endroits du territoire. Auparavant, sous le Directoire, les maisons d’arrêt sont le socle du dispositif : elles dépendent pour leur part des mairies et des départements. Après Napoléon, cet effort en faveur d’une réorganisation ne faiblit pas : le duc Decazes (1780-1860), un proche de Louis XVIII, anime la Société royale pour l’amélioration des prisons. Ses membres sont d’autant plus sensibilisés qu’ils sont plusieurs à avoir expérimenté les geôles de la Révolution. Comme souvent, on parle d’autant mieux de ce qu’on connaît.
Napoléon III demande les premières statistiques sur la population pénitentiaire
Au regard des effectifs, l’histoire des prisons en France alterne plusieurs phases : pendant la première moitié du XIXème siècle, la population pénitentiaire croît fortement ; auparavant, peu de recensements sont effectués. L’année 1852 est une étape importante car elle coïncide avec les premiers registres disponibles, après que l’administration de Napoléon III demande à Louis Perrot, inspecteur général des prisons, de regrouper l’ensemble des statistiques. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la deuxième phase se traduit par une décrue du nombre de détenus, exceptés des pics en 1870 et 1914-1918. L’enquête publiée chaque année par les autorités recouvre à la fois les détentions préventives, les longues peines et les condamnés aux travaux forcés. En métropole, le dernier bagne, situé à Toulon, ferme ses portes en 1874. Quant au dernier départ pour la Guyane, il intervient en 1938. Sur près d’un siècle, ce sont 100 000 personnes environ qui partent pour le bagne.
La troisième phase cible la Seconde Guerre mondiale, avec une explosion de la population carcérale : aux condamnés de droit commun viennent s’ajouter les internés administratifs et les prisonniers des Allemands. Après la guerre, certains établissements comme Clairvaux (Aube) se spécialisent dans l’accueil des détenus de l’épuration. La quatrième phase enfin couvre les dernières décennies, marquées elles aussi par une forte croissance des effectifs -tout juste interrompue par quelques grâces collectives (à l’initiative de l’exécutif) et les remises de peine du 14 juillet.
Années 70. Prise de conscience des conditions dégradées de détention
Depuis quand cette surpopulation est-elle devenue ingérable, de l’aveu même des autorités. Cette prise de conscience est devenu très prégnante au milieu des années 1970, après une série d’«incidents» : évasions, prises d’otages, grèves de surveillants… En 1971, trois ans après Mai 68, la création du Groupe d’information sur les prisons vise à sensibiliser les intellectuels à la dureté des conditions d’enfermement : le philosophe Michel Foucault est l’un des membres les plus actifs. En 1975, la réforme pénitentiaire conduite par Jean Lecanuet, alors Garde des Sceaux, débouche sur quelques assouplissements, dans le quotidien carcéral comme dans l’exécution des peines. Mais la pression ne se relâche pas et elle ne s’est jamais relâchée depuis : aujourd’hui, avec plus 70 000 détenus pour 61 000 prisons places, les prisons sont débordées de manière structurelle ; au point qu’en 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour ses «conditions de détention inhumaines et dégradantes».
Frédéric de Monicault