
Les Français lèvent le coude depuis le Moyen Âge
Selon les dernières statistiques, ils comptent parmi les gros buveurs d’alcool de la planète. Même si, au fil des générations, la consommation baisse.
Visuel : la consommation d'alcool en Europe par pays. Données 2010 ©Wikimedia commons
Le Dry January (littéralement «janvier sec») est terminé. Le «mois sans alcool», cette initiative lancée en Grande-Bretagne et relayé par quelques associations en France, a rencontré peu d’écho de ce côté-ci de la Manche. Cela ne signifie pas que les problèmes liés à l’alcool se soient évaporés. Santé publique France, l’agence nationale spécialisée, vient de publier une étude très détaillée sur le sujet : il en ressort qu’environ 10% des adultes de 18 à 75 ans boivent quotidiennement de l’alcool. C’est en Occitanie qu’on lève le plus le coude, avec un chiffre de 12,6%. Contre 7,1% en Ile-de-France, la région où la consommation est la plus faible. Avec plus de 11 litres (d’alcool pur) bus chaque année par habitant, la France est l’un des pays les plus «alcoolisés» au monde.
Au regard de cette étude, faut-il voir le verre à moitié plein ou à moitié vide ? Le côté inquiétant réside évidemment dans la présence des France parmi les gros buveurs de la planète, devant les Russes notamment. Le côté plus encourageant consiste dans le fait que les Français sont essentiellement devenus des buveurs occasionnels, au regard de la courbe des statistiques. Ainsi, depuis les années 1960, la consommation de vin a été divisée par trois. Au fil des décennies, non seulement les Français achètent moins de bouteilles (de vin et autres) mais ils se rendent moins dans les bars et les boîtes de nuit, lieux de consommation par excellence.
Au Moyen Âge, l'alcool un élément du quotidien
L’histoire de la consommation d’alcool dépasse largement l’analyse des modes. Elle en dit beaucoup sur l’évolution des sociétés, leur rapport à la santé et bien sûr leur inscription dans un terroir. Au Moyen Age, le vin est un élément clé du quotidien, dès le petit-déjeuner. On en boit jusqu’à trois litres par jour. Il est vrai que l’eau est souvent impropre à la consommation, parfois à un stade tel que le vin sert à faire les pansements et les préparations médicinales.
Sous l’Ancien Régime, le vin est d’autant plus apprécié qu’il est meilleur : l’amélioration des techniques de conservation favorise un vieillissement au-delà de deux ans - le seuil limite jusqu’au XVIIIème siècle pour garder un goût agréable. Ce qui ne change pas en revanche, c’est la pression fiscale : les édiles ponctionnent sans interruption le commerce des alcools. Quitte à provoquer des mouvements de rébellion : c’est encore le cas au cours des années 1905-1907, dans le Jura puis dans l’Aude où les vignerons déjà secoués par la crise du phylloxéra (NDLR : le champignon qui ravage les vignes) décrètent pendant plusieurs mois une grève de l’impôt.
De quand date la pédagogie sur la consommation de l’alcool ?
Voilà pour le plan gustatif et économique mais qu’en est-il de la pédagogie sur la consommation de l’alcool ? L’École républicaine commence à s’en soucier à la fin du XIXème. La circulaire du 9 mars 1887 relative aux programmes du primaire et du secondaire établit des «notions sur les dangers de l’alcoolisme du point de vue de l’hygiène, de la morale, de l’économie politique et sociale». Reste que pendant la Première guerre mondiale, personne ne reproche aux Poilus de boire à franches rasades. Les rations du «Père pinard» augmentent régulièrement au front, passant d’un quart de litre par jour en 1914 – plus 6,25 centilitres d’eau de vie – à un demi-litre en 1916 et un litre en 1918. Le vin est à la fois censé donner de l’énergie, prévenir l’ennui et renforcer les liens entre soldats et officiers.
Au milieu du XXème siècle, une nouvelle problématique liée à la santé intervient : comment garantir la sécurité au volant, alors que l’automobile s’impose comme un équipement courant et n’est plus seulement l’apanages des classes aisées. Pour sensibiliser aux dangers de la conduite en état d’ivresse, la loi du 26 juillet 1957 fait une place à l’éducation routière dans les programmes scolaires. Soixante-dix ans ont passé et cette pédagogie est toujours nécessaire. Au début de l’année dernière, le ministre de l’Agriculture interrogé à la radio n’at-il-pas hésité à dire que «le vin n’est pas un alcool comme les autres». Tout un programme !
Frédéric de Monicault