
Le moral des Français. Une donnée mesurée depuis 1958
L’indicateur de l’Insee existe depuis plus de 60 ans. Aujourd’hui, il prend un relief tout particulier.
Les Français ont-ils le moral ? Au lendemain du pic de la pandémie de coronavirus et alors que le pays se redresse difficilement, la question se pose avec encore plus d’acuité. En sachant que le printemps n’a pas été rassurant : au cœur du printemps, en plein confinement général, selon les données publiées par l’Insee, l’indicateur qui enregistre la confiance des ménages a chuté de huit points. Il s’agit de la plus forte baisse depuis des décennies : à dire vrai, les économistes s’attendaient à une dégringolade encore plus marquée : au cours des prochains mois, ils ne devraient pas être déçus, tant les nuages s’amoncellent sur l’économie. Reste que des rebonds sont toujours possibles : depuis début juin, les concessions automobiles enregistrent des chiffres de vente encourageants. C’est un signal qui plaide pour un état d’esprit un peu plus optimiste parmi la population, même si la menace d’une deuxième vague pour le Covid-19 est bien réelle.
Vu de loin, le moral des ménages peut sembler une donnée très empirique. C’est tout le contraire comme l’indiquent les analyses de l’Insee. L’Institut national de la statistique et des études économiques, créé par la loi de finances du 27 avril 1946, s’inscrit dans le sillage de la Statistique général de France, un service ministériel lancé en 1833 et placé alors sous la tutelle du ministère du Commerce. Mis en place en 1958, l’indicateur de l’Insee permet de sonder les foyers à partir d’un large éventail de questions ; leurs intention d’achats, leur capacité d’épargner ou encore leurs projets de vacances sont passés au crible. Une fois compilées et analysées, les réponses obtenues permettent de savoir jusqu’à quel point les Français consomment ou ont envie de consommer. Cet éventail donne une idée précise du dynamisme – ou pas - du pays. Publié mensuellement, le moral des ménages permet encore de dessiner au fil des années une trajectoire économique très instructive.
Une conjoncture porteuse pendant les Trente Glorieuses
En 1958, quel visage présente la société française pour que les pouvoirs publics aient eu envie de préciser ses contours. La situation est bien différente selon qu’on se place sur le plan politique, économique ou social. Malgré l’instabilité monétaire, les Français bénéficient d’une conjoncture porteuse. Le pays est au cœur des Trente Glorieuses - ces trois décennies de 1945 à 1973 pendant lesquelles il enregistre une croissance sans précédent ; la France applique encore une stratégie protectionniste – en taxant les importations - et le développement industriel est d’abord le fruit des petites et moyennes entreprises. Cela change après 1958 et les grandes transformations voulues par le général de Gaulle, via une politique volontariste d’aménagement du territoire qui a recours aux géants industriels.
Concernant la situation politique, en 1958, sur fond d’enlisement en Algérie, les pouvoirs publics craignent l’embrasement en métropole. Répression d’un côté, négociation de l’autre, de l’autre côté de la Méditerranée, Paris oscille en permanence entre les deux attitudes. Les Français eux-mêmes sont partagés, ayant bien conscience que l’indépendance algérienne va dans le sens de l’histoire mais peinant à croire que l’empire colonial est voué à s’éteindre définitivement. Le 13 mai 1958, un Comité de salut est constitué à Alger par les défenseurs de l’influence française. Le 29 mai, face au risque de guerre civile, le président de la République René Coty appelle le général de Gaulle au pouvoir : son gouvernement aura pour mission d’élaborer une nouvelle constitution. La Vème République est sur les rails, la guerre d’Algérie se terminera en 1962 par les accords d’Evian. Dix ans plus tard, les chocs pétroliers qui se rapprochent à l’horizon obscurciront définitivement le ciel économique. Avec une forte incidence sur le moral des ménages. Précisons que depuis 1972, l’enquête se décline conjointement dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne, à partir d’une grille de questions similaires. Des comparaisons peuvent ainsi être facilement établies entre les pays.
Frédéric de Monicault