L'appel de la campagne. Rien de nouveau au regard de l’Histoire

La crise sanitaire a incité à fuir les villes, où certains ne veulent plus revenir. Le retour à la terre : une tradition ancienne.

Vivre à la verte ? Et pourquoi pas ? Pendant le confinement général, ils sont plus d’un million de Franciliens à avoir quitté Paris et sa – grande – banlieue. Se disant que pour traverser la période, en télétravail ou pas, ils seraient beaucoup mieux à la campagne – pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir s’y replier. Un phénomène partagé aussi dans de nombreuses métropoles régionales, soudain délaissées. Aujourd’hui, les choses reviennent peu à peu à la normale mais les habitudes évoluent : certains se demandent s’ils ne vont pas élire définitivement domicile loin de leurs bases initiales. D’autres ont déjà franchi le pas : après le Covid-19, le milieu rural est un horizon qui attire.
Ce désir de quitter la ville remonte à bien plus loin : il suffit pour cela de se replonger dans Jean-Jacques Rousseau ; en 1762, dans son traité Emile ou De l’éducation, l’écrivain et philosophe ouvre la voie : « Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilières (…). Plus ils se ressemblent, plus ils se corrompent (…). L’homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeaux. »
Un siècle plus tard, c’est un poète et penseur américain qui invite l’homme à se retourner à la nature, alors même que la révolution industrielle bat son plein. Henry David Thoreau (1817-1862) s’installe dans une cabane en rondins, au bord de l’étang de Walden, dans le Massachussetts. En 1849, il publie un petit livre qui fera date, La désobéissance civile, qui inspirera Gandhi et Martin Luther King. Les travaux de Thoreau ne sont pas seulement ceux d’un panthéiste qui réclame le respect de la nature et un progrès technique maîtrisé. Son message est aussi très politique, appuyé par de fortes convictions morales au service des libertés individuelles. « Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme », écrit l’intéressé, qui meurt un an après le début de la guerre de Sécession.

L'agrarisme au XIXe et XXe siècles

Au carrefour des XIXème et XXème siècles, l’agrarisme est un autre courant – cantonné à l’Europe - qui prône le retour à la terre. A ceci près que les ferments sont beaucoup plus économiques que philosophiques. Il s’agit de résister à la transformation industrielle de l’agriculture et surtout à son impact sur les prix, avec les cours de plusieurs denrées qui dégringolent. Anticapitaliste, l’agrarisme, qui réunit à la fois des propriétaires et des ouvriers agricoles, stigmatise les puissances d’argent ; il peut rapidement virer vers l’extrémisme, en témoignent ses assertions antisémites.
C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de cette notion de retour à la terre, que s’approprient volontiers des régimes autoritaires en l’accolant au respect des valeurs traditionnelles. Parmi les cas les plus emblématiques, le gouvernement de Vichy : « La terre, elle, ne ment pas », déclare le maréchal Pétain en même temps que le régime veut restaurer la primauté de l’agriculture sur l’économie. En décembre 1940 est créée la Corporation paysanne, qui rassemble l’ensemble des acteurs. Fédération professionnelle, la Corporation est aussi un organe politique. De ces relations ambigües entre le monde rural et les autorités, vient ce sentiment qu’une réactivation trop prononcée du goût pour la campagne est souvent présentée comme suspecte.  
Il est pourtant revenu en force pendant les décennies 1960 et 1970. La culture hippie, qui fait foin de la société de consommation et du matérialisme à tout crin, résonne alors comme un appel à se mettre au vert. En France, en 1972, l’Ardèche est le département qui enregistre la plus forte densité néorurale : plusieurs communautés viennent s’y installer, en dépit de premiers contacts avec la population locale souvent laborieux. Les bienfaits du retour à la terre sont vantés par les « chevelus », comme on les qualifie parfois. On sent aujourd’hui comme un déjà lointain ’héritage de Mai 1968 dans cet volonté de s’éloigner à nouveau des métropoles mais avec une conscience encore plus aigue de la nécessité de mettre concrètement en pratique les préceptes écologiques.

Frédéric de Monicault

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