
La guerre des mandarins a toujours eu lieu
Les professeurs de médecine n’ont pas attendu la crise sanitaire actuelle pour s’affronter.
Visuels via Wikimedia commons : Antoine Vallot, premier médecin du roi en 1652, gravure de J.Grignon. Welcome collections ; Gui Patin, médecin, professeur et chirurgien au Collège de France, gravure d’Antoine Masson ; Antoine d’Aquin, premier médecin du roi en avril 1672, par Hyacinthe Rigaud, 1685. Ce dernier se prononça contre le quinquinna, utilisé par d’autres praticiens avec succès pour guérir les fièvres intermittentes.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la communauté scientifique s’écharpe à belle dents. Le phénomène d’attraction-hostilité qui entoure le professeur Raoult à Marseille en est un bon exemple mais c’est loin d’être un cas isolé. De multiples thèses s’affrontent autour du coronavirus et les intéressés s’envoient souvent des noms d’oiseaux à la figure. Est-ce bien étonnant ? Depuis le début de l’histoire de la médecine, ses grandes figures sont engagées dans de sévères luttes d’influences.
Si féroces soient ces batailles, elles ont donc toujours existé. Ambroise Paré, souvent présenté comme le « père de la chirurgie moderne » en sait quelque chose. Nommé « premier chirurgien » du roi en 1562 par Charles IX, il a une longue expérience derrière lui des champs de bataille et s’est distingué par ses méthodes révolutionnaire : il réfute en particulier la cautérisation des plaies à l’huile bouillante et inaugure la ligature des artères. Mais jusqu’au bout, il doit ferrailler avec la Faculté de médecine de Paris, qui lui reproche pêle-mêle d’être autodidacte, d’ignorer le grec et le latin et de rompre avec les enseignements des glorieux anciens. Il n’empêche, il sera toujours soutenu par les souverains successifs : en 1554, il reçoit son bonnet de docteur en chirurgie après l’intervention d’Henri II ; celui-ci a obtenu que Paré puisse rédiger sa thèse en latin.
Une concurrence féroce entre les médecins de Louis XIV
Sous Louis XIV aussi, les querelles entre spécialistes font rage. C’est à qui soignera le mieux le roi et prendra ainsi le pas sur ses confrères. En 1647, Antoine Vallot guérit la petite vérole du monarque : ses recommandations et ses remèdes tranchent avec ceux de François Vautier, alors premier médecin du Roi-Soleil. A peine monté en grade, Vallot, qui s’occupait précédemment d’Anne d’Autriche, voit grimper le nombre de ses rivaux et les cabales qui vont avec ; il est notamment accusé par Gui Patin, le doyen de la Faculté de Paris, d’avoir payé 30 000 livres à Mazarin pour acheter sa charge.
Le successeur de Valot, Antoine Daquin, est lié à son prédécesseur, dont il a épousé la nièce. Il n’en faut pas plus pour susciter l’hostilité de ses pairs, dont Guy-Crescent Fagon, appuyé par Madame de Maintenon. Considéré comme un bon praticien, ce n’est pas un défaut de compétences qui cause la perte de Daquin. Mais sa courtisanerie trop voyante : en 1693, il réclame pour son fils abbé l’archevêché de Tours ; le courroux du roi l’oblige à partir sur le champ. Le dernier « premier médecin » de Louis XIV, Georges Mareschal, soignera aussi Louis XV, qui lui demande de créer une faculté de chirurgie. A l’époque, cette discipline souffre d’un manque flagrant de considération et Mareschal doit s’employer pour vaincre les réticences ambiantes. La Société académique des chirurgiens de Paris voit le jour en 1731, rebaptisée Académie royale de chirurgie en 1748. Ces différents épisodes sont narrés au plus près dans l’ouvrage de Jean-Jacques Peumery,Les mandarins du grand siècle (Empêcheurs de penser en rond).
Larey, le chirurgien de Napoléon brimé par la Restauration
Parfois, quand la réputation des médecins est incontestable, cela n’empêche pas les intéressés de subir des foudres sur le plan politique. En 1815, Dominique-Jean Larrey se voit retiré toute fonction, de même que sa pension. La Seconde Restauration (1815-1830), qui succède aux Cent-Jours, entend brimer le chirurgien de Napoléon. Car Larrey accompagne Bonaparte depuis 1794 et son arrivée comme médecin militaire à Toulon, au moment où le second défend les côtes méditerranéennes avant de prendre le commandement de l’artillerie de l’armée d’Italie. Dans l’intervalle, ont calculé les historiens, Larrey aura vécu près de 25 campagnes et 60 batailles.
Nommé officier de la Légion d’honneur en 1804 – et décoré par Bonaparte lui-même -, Larrey ne reniera jamais ses sympathies. En 1840, il est toujours là, en grande tenue, pour accueillir le retour des cendres de Napoléon. En 1818, les députés l’ont réintroduit dans ses droits : ils se sont appuyé sur le fait que le chirurgien avait soigné les blessés sans distinction d’uniforme : effectivement, pendant la guerre d’Espagne, il réclame explicitement la création d’un « hôpital destiné à l’ennemi ». En 1820, il intègre la première promotion de l'Académie royale de médecine.
Frédéric de Monicault