La corrida redescend dans l’arène politique
Le gouvernement songe à faire interdire les spectacles taurins aux moins de 16 ans. La lutte anti-corrida est presque aussi ancienne que la tauromachie elle-même.
Visuel : Matador, Plaza de Toros Las Ventas, 9 octobre 2005, Madrid, Espagne © Manuel González Olaechea y Franco
Une fois de plus, la corrida est dans la ligne de mire. Le gouvernement s’apprête à déposer devant l’Assemblée nationale un projet de loi visant à interdire les courses de taureaux aux mineurs de moins de 16 ans. A noter que les combats de coqs sont également concernés par cette mesure. La députée de la majorité Samantha Cazebonne, qui a travaillé sur le texte, a tenu à souligner que «(mon) travail n’est pas le bien-être animal mais la protection de l’enfance». La France est loin d’être le seul pays où la tauromachie descend dans l’arène politique. En Espagne, son terroir par excellence, le débat a même gagné les prétoires : en 2016, six ans après que la Catalogne a décidé d’abolir la corrida, le Tribunal constitutionnel a décidé d’annuler cette disposition. Idem aux Baléares : alors que le Parlement régional avait voté en 2017 la suppression de la mise à mort du taureau, les magistrats ont annulé un an plus tard cette décision. Avec pour argument que cela représente une entrave au «patrimoine culturel immatériel» national.
De lointaines origines
Les origines de la corrida sont anciennes. Tellement anciennes que les spécialistes déploient des thèses diverses : pour certains, la chasse aux aurochs sous la Préhistoire constituerait les prémices. Pour d’autres, il y aurait des liens avec l’Antiquité romaine, en témoigne le choix des arènes pour théâtre des spectacles taurins. Pour d’autres encore, ce sont les musulmans qui lors de leur occupation de l’Espagne – entre le 8ème et le 15ème siècle - auraient propagé le concept. Enfin, des racines renvoient aux abattoirs de Séville, au 16ème siècle, quand des employés s’amusent à provoquer les bêtes. Pour les anti-corridas, cette recherche historique est vaine : à leurs yeux, elle ne sert qu’à légitimer les jeux taurins, en les parant de coutumes et de traditions plus ou moins véridiques.
Il reste qu’à partir du XVIIème siècle, la corrida est soigneusement codifiée avec des étapes – la pique, les banderilles, la muleta, l’épée… - qui vont perdurer à travers les époques. C’est le début aussi des grands spectacles, qui se donnent sur la «plazza mayor» des cités ibériques. Certains matadors sont des professionnels, d’autres des spécialistes éclairés : à intervalles réguliers, des grands d’Espagne entrent en lice pour défier l’animal, avec plus ou moins de réussite.
Léon Bloy, Octave Mirbeau et Emile Zola, des « antis corridas »
A compter du XIXème siècle, la corrida entre dans les mœurs mais la lutte des «antis» s’intensifie. Celle-ci est relayée par des figures de poids, comme les écrivains Léon Bloy, Octave Mirbeau et Emile Zola. Ce dernier est explicite : «La corrida, ni un art, ni une culture; mais les torture d’une victime désignée.» Parmi les personnalités politiques, Georges Clémenceau n’est pas le moins virulent contre les spectacles taurins. En 1850, la loi Grammont est explicite : «Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques.» Mais un siècle plus tard, en 1951, un amendement est voté : «La présente loi n’est pas applicable aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale interrompue peut être évoquée.» Dans l’intervalle, un système de taxes a été institué pour les organisateurs de corridas, ce qui tend à les installer dans le paysage. Depuis des décennies, la bataille ne s’est donc jamais éteinte…
Frédéric de Monicault