L’union nationale fait – parfois - la force

Le rassemblement de la nation est un classique en période de crise. Avec des succès contrastés.

Visuel via Wikimedia commons : Fédération générale des Français au Champ de Mars, le 14 juillet 1790 : / Dessiné par C. Monet, ; gravé par Helman, de l'Académie des Arts de Lille en Flandre ; [eau-forte de A.J. Duclos]. Coll.BnF

Depuis le début de la crise sanitaire, le président de la République use de mots très forts face aux Français. A ses yeux, cela ne fait aucun doute : le pays est «en guerre». Dans ce contexte, il cherche à rassembler l’ensemble de la population et des forces politiques. Ainsi son allocution de mars : « On ne vient pas (…) à bout d’une crise d’une telle ampleur sans faire bloc. » Puis en avril : « Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner le chemin. » Il n’en faut pas plus pour que les commentateurs imaginent un prochain gouvernement d’union nationale. Sur le papier, le concept est tout d’un bloc, dans la réalité, il renvoie à de nombreux héritages.
Au carrefour de la République et de la Monarchie, la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 est un premier moment d’union nationale. Un an après la prise de la Bastille, quelques 100 000 personnes sont rassemblées au Champ de Mars à Paris, devant le roi et les députés. Louis XVI fait allégeance à la Nation et à la loi tandis que La Fayette, qui commande la Garde nationale, prête serment le premier. Un défilé militaire et une messe – célébrée par Talleyrand, alors évêque d’Autun, et plus de 300 prêtres – complètent la journée. Une seconde fête de la Fédération se tiendra le 14 juillet 1792 mais l’esprit de concorde a disparu. Dans l’intervalle, en juin 1791, le roi a cherché à s’enfuir, avant d’être rattrapé à Varennes. Il faudra attendre 1880, sous la IIIème République, pour que le 14 juillet devienne officiellement le jour de la Fête nationale. Une loi est votée pour cela, elle ne fait référence ni à la prise à la Bastille, ni à la Fête de la Fédération. Comme cela, personne parmi les conservateurs ou les progressistes n’est mécontent…

L’union sacrée d’août 1914

Avant les combinaisons politiques de l’entre-deux guerres, le concept d’union nationale s’enracine autour de la naissance de « l’union sacrée », intervenue le 4 août 1914. Dans un message adressé aux parlementaires, convoqués en session extraordinaire, le président de la République Raymond Poincaré entend fédérer le pays : « Elle (la France) sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblées dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique. » Pas moins de 18 projets de loi ont été élaborés par le gouvernement, destinés à permettre au pays de se préparer au conflit. Les textes sont tous adoptés à l’unanimité, le rassemblement de la nation primant sur la solidarité de classe. Les dirigeants croient alors que la guerre contre l’Allemagne sera courte, et bien sûr victorieuse.

Le gouvernement d'union nationale de février 1934

Dans l’histoire de la République, le gouvernement d’union nationale correspond à une date très précise : en février 1934, juste après l’échec des émeutes du 6 février, Gaston Doumergue est appelé pour la deuxième fois à la présidence du Conseil (la première entre décembre 1913 et juin 1914) ; il s’entoure de personnalités couvrant tout l’éventail parlementaire : Henri Queuille, Edouard Herriot, André Tardieu, Albert Sarraut, Pierre Laval, Philippe Pétain… A travers cette addition de poids-lourds, il s’agit de mettre fin à l’instabilité ministérielle et de remettre l’Etat en capacité de solutionner la crise économique et de peser sur les grands équilibres internationaux. Le projet est ambitieux – avec notamment le rôle accru du président du Conseil et le frein mis aux députés en matière budgétaire – mais il bute rapidement sur de nombreux obstacles, entre les appétits de chaque camp, l’impréparation des textes et l’assassinat du ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou, le 9 octobre 1934 à Marseille. Le roi de Yougoslavie Alexandre 1erpérit aussi dans l’attentat. Doumergue démissionne finalement le 8 novembre.

Churchill en Grande-Bretagne, figure de proue de l’union nationale en Grande-Bretagne

La France n’a évidemment pas le monopole de l’union nationale. A l’étranger, une figure s’impose spontanément, celle de Winston Churchill en Grande-Bretagne : au printemps 1940, après avoir composé un gouvernement rassembleur, il intervient plusieurs fois devant la Chambre des Communes. Ses interventions sont des morceaux de bravoure qui portent littéralement la nation : « Nous ne fléchirons pas, nous ne tomberons pas. Nous continuerons jusqu'au bout. Nous combattrons sur les mers et sur les océans. Nous défendrons l'Angleterre à quelque prix que ce soit. »Ou encore : Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Peut-être convient-il de rappeler que Churchill recevra le prix Nobel de littérature en 1953 : le concept d’union nationale se nourrit aussi d’envolées rhétoriques.
Frédéric de Monicault

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