L’anti-parisianisme refait surface

Avant l'annonce officielle du confinement prévu pour lutter contre l'épidémie galopante de coronavirus, des milliers de Franciliens sont partis se mettre au vert. La province goûte peu cet afflux venu de la capitale. Une réaction qui ravive un sentiment enfoui, mais toujours vivace d'antiparisianisme viscéral. Retour sur les origines, pas si lointaines, d'un antagonisme récurrent.

 

Des milliers de Parisiens qui quittent la ville ou leur région. Ce n’est pas un leurre mais la réalité : face à l’épidémie de coronavirus, ils sont très nombreux, les habitants de la capitale et/ou les banlieusards, qui ont déserté l’Ile-de-France pour rallier la mer, la montagne ou la campagne. Dans certains villages ou stations, ils sont très mal accueillis : on leur reproche notamment d’avoir enfreint les règles du confinement, au mépris complet de la santé des populations locales. Ou alors de se croire en vacances, au cœur d’une période ultra-troublée. Bref, il n’en faut pas plus pour ressusciter un sentiment d’anti-parisianisme, jamais totalement éteint au XXème siècle après une succession d’époques marquées par les clivages entre Paris et le pouvoir central d’une part, et des régions en quête d’autonomie d’autre part. 

En période de crise, l’antagonisme Paris-Province ressurgit

L’Histoire est éloquente : en période de crise, Paris est souvent montré du doigt. Ainsi, au sortir de la Première Guerre mondiale, quand la question du renouvellement démographique devient prégnante, les milieux conservateurs présentent volontiers la capitale comme un lieu de perdition morale. Certains parlent même d’un «tombeau de la race». En accusation, les modes de vie jugés insouciants des Parisiens, irrespectueux des grands enjeux de la nation. Cette fronde intervient après que les provinces françaises ont perdu 8% de leur population (en raison de la Grande guerre) tandis que les effectifs de la région parisienne continuent de grimper, dans le sillage de l’implantation des industries lourdes, automobiles en particulier.

À partir de la fin des années cinquante, les régions se sentent délaissées

Jusqu’au milieu du XXème siècle, Paris concentre peu à peu tous les foyers de décision économique, une tendance qui ne s’affadira plus. Dans l’opinion, l’énorme conurbation cristallise les excès de la grande ville : trop de monde, trop de bruit, trop de béton, trop de voitures… Le pouvoir politique a conscience de ces critiques mais à partir de la fin des années 1950, il assume comme jamais le poids de la capitale, au grand dam de régions qui se sentent délaissées. Un seul exemple : la construction de La Défense est lancée en 1958 pour une livraison des premières tours de bureaux en 1966. A l’époque, tous ces bâtiments sont construits sur un modèle standard : une centaine de mètres de haut pour un total de 27 000 mètres carrés. Peu à peu, Paris se dote d’un quartier d’affaires comme il en existe peu dans le monde. Ce nouveau poumon de la vie cible lui aussi les critiques, comme symbole d’un univers tentaculaire. En attendant, pour faire carrière, il est indispensable de «monter» à la capitale. C’est un point d’antagonisme supplémentaire entre Paris et les métropoles régionales. Georges Pompidou, alors Premier ministre, dresse ce constat sans ambages :  «Je suis provincial. Ça m’a permis de sentir à quel point l’un des problèmes français était le grossissement excessif, l’hypertrophie de la tête, c’est-à-dire de Paris et de la région parisienne».

Les lois de décentralisation des années 80

En 1981, après l’accession de François Mitterrand à l’Elysée, le gouvernement mûrit les lois de décentralisation votées en 1982. Reste que la tradition de l’Etat jacobin est vivace : Paris, après avoir incarné le roi et la République, demeure le socle de l’Etat par excellence. Y sont tranchées toutes les politiques appliquées en région. Combien de fois, depuis que le pays est unifié, les pouvoirs locaux se plaignent-ils que l’impôt est décidé à Paris.

Cela n’empêche pas certaines grandes villes de se construire - avec succès – face à cette primauté : Lyon est la première concernée. L’anti-parisianisme émerge dans la cité des Gaules au cours seconde moitié du XIXème siècle. Même si déjà, sous la Révolution, les insurrections fédéralistes dans le Lyonnais – réprimées par la Terreur – sont un ferment de rejet du pouvoir central. Au XIXème, ce sentiment se consolide autour de personnalités politiques modérées, comme Edouard Herriot – l’incontournable maire de Lyon pendant cinquante-deux ans -, et d’un solide essor économique.  La ville se veut sérieuse, tenue, aux antipodes d’une capitale plus contrastée.

Frédéric de Monicault

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