Heurs et malheurs de l’ENA

Le gouvernement veut faire disparaître l’Ecole nationale d’administration. Une page d’histoire se tourne.

©Ena

La sentence est tombée. Dans le cadre de sa conférence de presse relative aux conclusions du Grand débat, le président de la République a annoncé sa volonté de mettre fin aux grands corps de l’Etat. L’Ecole nationale d’administration (ENA) est la première visée : une réflexion est engagée pour trouver une alternative à cette prestigieuse institution, devenue depuis des décennies la véritable antichambre du pouvoir. L’exécutif entend modifier en profondeur les circuits de recrutement de la haute fonction publique, qu’il juge trop figés. 

Pour l’ENA, le coup est rude. L’établissement, qui a fêté en 2015 ses 70 ans, a souvent été chahuté par le passé mais jamais ébranlé. Porté sur les fonts baptismaux à l’automne 1945, il doit beaucoup à Michel Debré. Ce dernier, membre du cabinet du général de Gaulle (alors chef du gouvernement provisoire), évoque après la guerre la nécessité de s’appuyer sur «un corps de fonctionnaires d’une compétence affirmée, confirmée, notamment pour tout ce qui touche les affaires financières, économiques et sociales».

En soixante-dix ans, quatre présidents de la République et huit Premiers ministres sortis des rangs de l’ENA

Dans ses Mémoires de guerre, le Général revient sur cet épisode : «La satisfaction m’était donnée, le 15 décembre (NDLR : 1945) d’inaugurer l’Ecole nationale d’administration, institution capitale qui allait rendre rationnels et homogènes le recrutement et la formation des principaux serviteurs de l’Etat, jusqu’alors originaires de disciplines dispersées.» Un sillon creusé avec efficacité si l’on tient compte qu’en soixante-dix ans pas moins de quatre présidents de la République et huit Premiers ministres sont sortis des rangs de l’ENA. Au fil des ans, l’Ecole évolue et s’ouvre davantage, surtout au cours des trente dernières années : en 1990, c’est la création d’un troisième concours ouvertes aux salariés du privé et aux élus locaux; en 2004, les ressortissants de l’Union européenne peuvent se présenter au concours d’entrée; à partir de 2015, le contenu des épreuves devient moins académique. Mais il faut croire que ces ajustements ne suffisent pas. Emmanuel Macron plaide pour une «modernisation indispensable» de la haute fonction publique.      

L’ENA remplacée par quelque chose

Alors que les prochaines semaines s’annoncent agitées, il existe au moins une certitude : l’ENA sera remplacée par quelque chose. De la même manière, l’Ecole n’a pas surgi de nulle part. En 1848, déjà, le gouvernement décide la création d’une «Ecole d’administration, destinée au recrutement des diverses branches d’administration dépourvues jusqu’à présent d’écoles préparatoires». L’Ecole polytechnique, fondée en 1794, sert de référence. Mais cette Ecole d’administration s’attire les foudres des fonctionnaires déjà en place et elle s’arrête après seulement une promotion. En 1872, c’est au tour de l’Ecole libre des sciences politiques (baptisé Sciences Po) de prendre le relais.  Un établissement que Jules Ferry cherchera à nationaliser en 1881 mais sans succès. Cent cinquante après, Sciences Po existe toujours et s’est imposé comme le meilleur tremplin pour accéder à l’ENA.

Frédéric de Monicault

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