
Hart Island, « l’île aux morts » de New York
New York est la ville la plus touchée par l’épidémie de Covid-19 aux États-Unis avec 8 600 décès sur les 20 000 que déplore à ce jour le pays (chiffres du 12 avril 2020). Cette vulnérabilité s’explique par une population urbaine très élevée - 8,6 millions d’habitants-, de surcroît avec un fort taux de densité - 10 000 habitants au km2. New York est aussi une ville très touristique, reliée au monde entier, et qui offre des inégalités sociales très prononcées. Depuis plusieurs semaines, les autorités new-yorkaises ont décidé d’enterrer les victimes de l’épidémie, dont les dépouilles ne sont pas réclamées par leurs proches au bout de quatorze jours, sur l’île de Hart Island. Quelle est cette île peu connue ? Quelle est son histoire?
Hart Island est un de ces multiples îlots situés autour de Manhattan et dans la baie de New York. L’île est sise dans la Long Island Sound, au nord-est du Bronx, dont elle dépend, et au sud de New Rochelle, une ville fondée par des huguenots dans les années 1680. Son nom vient du mot « hart » qui signifie « cerf », sans doute parce qu’elle devait être giboyeuse à l’époque des colonies. Elle s’étend sur 1,6 km de long et sur 400 mètres de large, soit une cinquantaine d’hectares. Comme Manhattan, elle est « achetée » aux Amérindiens par les colons et appartient à des propriétaires privés jusqu’aux années 1860. En pleine guerre de Sécession (1861-1865), elle est réquisitionnée pour entraîner un bataillon nordiste de soldats afro-américains. Près de 50 000 hommes y sont formés. Puis des bâtiments sont érigés pour détenir des prisonniers sudistes, plus de 3000 au total. En 1868, elle est acquise par la ville de New York et gérée depuis par l’administration pénitentiaire (Department of Correction ou DOC).
Hart Island, lieu de quarantaine en 1870
Depuis cette époque, Hart Island a rempli de multiples rôles. L’île renferme une fosse commune (en anglais potter’s field), où la première personne enterrée dès 1869 fut une femme de 24 ans du nom de Louisa van Slyke. Hart Island a aussi été un lieu de quarantaine lors d’une épidémie de fièvre jaune en 1870, un lieu de repos et de confinement pour les malades atteints de tuberculose, un asile psychiatrique puis un centre de correction pour jeunes délinquants au début du XXe siècle, une caserne disciplinaire pour les forces armées pendant la Seconde Guerre mondiale, une base militaire dans les années 1950, une prison jusqu’au milieu des années 1960, et enfin un centre de réhabilitation pour drogués, la Phoenix House, dans les années 1970.
L’île, couverte de bâtiments abandonnés, n’est depuis plus qu’un cimetière. Le plus grand cimetière public des Etats-Unis avec un million de dépouilles. Un an après son ouverture en 1869, près de 2000 personnes y ont déjà été enterrées. Le cimetière est situé sur la pointe nord-est de l’île. Il est photographié en 1890 par le journaliste danois Jacob Riis, très connu pour ses clichés réalistes et émouvants sur la pauvreté à New York. Ce complexe mortuaire est divisé en deux parties: une pour les adultes où les cercueils sont empilés trois par trois et une pour les enfants où ils le sont cinq par cinq. En temps normal, les enterrements sont effectués par des prisonniers volontaires du centre pénitencier de Rikers Island, une des deux plus importantes prisons des États-Unis. Durant l’épidémie de Covid-19, c’est une entreprise privée qui s’en charge.
Une île cimetière
Qui est habituellement enterré à Hart Island ? Toute personne dont la dépouille n’est pas réclamée au bout de trente jours, ou qui n’est pas identifiée, ou dont les proches ne peuvent payer les funérailles. Ainsi, le cimetière ne renferme pas que des vagabonds. Y sont enterrés des personnes qui ont pu connaître une belle carrière, voire une certaine notoriété mais qui sont tombées face aux accidents de la vie ou ont sombré dans l’alcool, ou encore dont les familles, trop éloignées, n’ont pu réclamer leur dépouille à temps. Dans les années 1980, les premières victimes d’une maladie encore inconnue, le SIDA, y sont ensevelies. L’accès à l’île, accessible uniquement par ferry, est restreint. Pour se rendre au cimetière, les familles doivent en demander l’autorisation. Elles y sont admises au compte-gouttes, une fois par mois. En novembre 2019, il a été décidé de faire de l’île un parc, qui ouvrira ses portes en 2021. L’accès à Hart Island sera donc libre et l’île, avec le temps, se construira une nouvelle identité.
Bertrand Van Ruymbeke
Historien, spécialiste de l’histoire des États-Unis